"On a déjà eu l'opportunité, sur ces pages, de débattre de l'importance réelle que des oeuvres considérées comme "classiques" (Dylan, Hendrix, Beatles, etc...) ou "cultes" (Can, Joy Division, Velvet, etc...) pouvaient revêtir dans nos petites vies d'auditeurs passionnés.
On est nombreux à reconnaître que nos panthéons personnels ressemblent finalement peu à la Discothèque Idéale selon St-Manoeuvre ou St-Beauvallet.
Et en plus on n'a même pas honte.
Voilà une bonne occasion de remettre le couvert.
Elvis Costello jouit, après 30 ans de carrière et à peu près autant d'albums, d'une respectabilité incontestée dans le monde des amateurs de rock.
Pourtant, par un effet pervers de la "perspective historique", il est de bon ton de ne retenir de Costello que ses oeuvres de jeunesse, celles où le jeune homme puisait dans la frustration, l'ironie et la malice pour sublimer le pub-rock de ses origines et épouser l'intemporalité du "classique rock". Eternelle tentation du "c'était mieux avant" (et son corollaire snob "tu peux pas comprendre") ?
Célébration d'une "pureté" ou d'une "fraîcheur" propre aux premiers disques ?
Toujours est-il qu'en ce qui me concerne, si j'apprécie énormément certains morceaux de cette poignée de premiers album (en particulier This Year's Model), mes disques préférés de Costello ne sont guère prestigieux : je me délecte de la grande majorité de Spike (disque fourre-tout à la production un peu datée, mais recelant l'immense "God's Comic"), je ne me lasse pas de Brutal Youth (le retour des Attractions produit par Mitchell Froom = majestueux) et j'adore ce drôle de disque intitulé The Juliet Letters.
Pourquoi ? Parce que le songwriting est brillant (quel fan de Divine Comedy osera me contredire ?), les arrangements raffinés et inventifs, la voix de Costello splendide (pour peu qu'on adhère à son timbre singulier et son vibrato ostentatoire).
Et puis il y a les textes. Le principe de cet album, en dehors de la contrainte orchestrale (rien d'autre qu'un chanteur et un quatuor à cordes), c'est de proposer des chansons explorant les multiples ressources du mode épistolaire. On y trouve donc des lettres d'insulte ("Swine"), des confidences amoureuses, des messages familiaux parfumés au fiel ("I Almost Had A Weakness"), des messages publicitaires ("This Offer Is Unrepeatable"), et même un message de suicide ("Dear Sweet Filthy World").
De quoi prendre la mesure des talents d'auteur d'Elvis, parolier génial, aussi à l'aise quand il s'agit d'épurer (réécoutez son "I Want You," d'une littéralité bouleversante) que lorsqu'il faut traiter de sujets plus complexes (révisez donc votre Shipbuilding).
Bref : ne vous fiez pas à la pochette ringarde de cet album (Costello s'est fait une spécialité des visuels moisis) et donnez une chance à ce disque : vous ne le regretterez pas."
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