Tiens, vous pouvez imaginer la liste des dix meilleurs albums de l'année 78 sans This Year's Model? Pas moi, pas un instant. Costello, il a un fanatique toute catégorie, le genre borné, prêt à tout avaler, tout de suite, sur-le-champ, sans salive et sans rechigner. J'en suis là. Gaga et plutôt sot. Le truc a commencé à me prendre avec My Aim Is True, pas aussitôt, le disque a bien failli s'égarer dans la pile de ceux qu'on n'écoutera jamais. Costello c'est une matière qui se mijote, tranquille, le style de passion à long terme. Ça se découvre à petits jets et ça s'incruste avec ses tics, ses sournoiseries et ses éclats. Tout un contexte dont vous apercevez qu'il n'existe pas ailleurs, nulle part. Et puis This Year's Model et le truc qui me colle à la peau, indélébile, net. Et ça passe par le même chemin, faut débroussailler encore qu'il soit plus abordable que My Aim Is True. J'avais pas fini de m'en délecter de This Year's Model, pas fini de consommer, de découvrir, de m'imprégner et voilà le troisième. Vous voulez connaître mon opinion sur Armed Forces, là sur le vif, à l'instant ? Gee, moins bien que les précédents, mais j'ai la chose que depuis trois jours, attendez deux semaines, les fouilles. Parce que Costello c'est un puzzle et pas n'importe lequel, un puzzle en forme de labyrinthe. Alors vous cherchez d'abord les pièces, vous reconstituez le puzzle et c'est là que tout commence, essayez de vous y retrouver dans ce foutu labyrinthe. C'est une histoire sans fin. L'obscurité des textes de Costello, c'est une bénédiction des dieux. Lorsque vous avez finalement découvert la signification des mots, vous vous trouvez devant un texte dont le sens vous échappe totalement mais dont l'allure vous a une de ces séductions. Et ne vous attendez pas à ce qu'il s'en explique, Costello est un type assez teigneux pour fuir les interviews comme la gangraine des temps modernes. Ne vous attendez pas non plus à ce qu'il imprime les textes sur ses pochettes de disques, j'imagine qu'il cultive ce mystère avec un plaisir jaloux. Non, le Costello préfère jalonner sa carrière de petites flèches, de petites embrouilles, de petites différences qui font les grandes légendes. La pochette de My Aim Is True en sept couleurs différentes, les photos de This Year's Model ainsi que certains morceaux qui différent selon les pays. Le roi du collector's, Costello, le prince des maniaques. Il remet ça avec la pochette de Armed Forces, un nouveau puzzle. Un design façon Bazooka, des bouts de carton de tous les côtés, des cartes postales et un E.P. en prime. Un bel objet. Costello se forge une image avec l'obsession du détail. Mais c'est pas du préfabriqué, non. Je me rappelle, c'était à l'Eden studio à Londres, Telephone avait terminé l'enregistrement de son disque et sortait son matériel tandis que Costello testait déjà sa guitare, juste quelques accords pour l'ingénieur du son et devinez quoi ? Il avait les jambes en X comme sur les photos. Il est comme ça, Costello, juste quand on croit pouvoir le coincer, c'est pas du bluff. C'est un faiseur oui, mais juste un faiseur d'histoires, le genre à gerber sur les journalistes ou sur son public. Megalo en diable et parano en plein, voyez le tableau. Et avec ça pas moyen de connaître quelque chose sur son passé, avant qu'il entre chez Stiff en 76. Le mysterioso de la vague nouvelle. Bon je vous offre une phrase pensée : l'avenir appartiendra à ceux qui ont un style. Et le style, Costello, c'est pas ce qui lui manque, immédiatement identifiable, peut pas se défiler. Avec Armed Forces, il a forcé sur les arrangements, du grand art, fouillé, manigancé avec préméditation. On pourrait presque le taxer d'un esprit Beatles, si on n'avait pas peur, c'en est pas loin. Les choeurs, les refrains, jusqu'aux glissendos de la basse, et l'utilisation des claviers. Là aussi, il a mis le paquet sur les claviers, partout, "Oliver's Army," "Accidents Will Happen," "Big Boys" et toujours avec un accent particulier. Gaffe, ne vous attendez pas à révisionner les Fabs, c'est simplement une manière d'appréhender la finition. Mais Costello viserait tout spécialement le marché américain que ça ne m'étonnerait pas plus que ça. Des mélodies propres, un son taillé sur mesure, les interventions des Attractions façonnées méticuleusement, si le coup est bien monté on aura droit au remake de "Un géant chez les Yankees" en panavision. Costello, c'est l'Anglais le plus américain de la vague nouvelle. Du coup, les compositions, l'attaque des instruments sont bien moins violentes que sur This Year's Model. Tiens, une parenthèse pour le même prix : le E.P. gratuit zé en direct n'est pas une réussite, à l'inverse du 45 t. qui accompagnait les premiers tirages du précédent, et reflète plutôt mal la performance du groupe sur scène. La version de "Accidents Will Happen" ne ferait pas peur à Elton John ni celle de "Watching the Detectives" à Kansas. Bon, la face B est dans l'ensemble plus efficace que l'autre, ne seraitce que pour les deux premiers morceaux. "Goon Squad" est le type parfait de composition pour un générique de James Bond, guitares étirées, basse syncopée et rythmes martelés et les canons sciés qui crachent sur les vitres blindées. "Busy Bodies" est un tube, refrain soutenu, mélodie facile, riffs de guitares évidents, le tout réparti avec un équilibre choisi. Quant à la voix de Costello, elle module tout ce qu'elle peut, zigzague autour de la mélodie, accroche et puis décroche les thèmes. Une voix FM, spécial TSF. Je prends Costello pour un héros en attente, un héros sur le pied de guerre, et si c'est pas pour cette fois ce sera pour la prochaine. Vous êtes prêts pour les forces armées?
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