«Cétait vachement plus facile Ne quand j'étais cruel.» La voix pleine de fiel, Costello crache ses mots tel un cobra en bougeant de façon méchante sur un tempo lent déchiré par une guitare abrasive. «Quand j'étais cruel... »: tant de lucidité brûle, surtout de la part de l'une des plus belles teignes de l'histoire du rock 'n' roll. Fatigué de servir la soupe au génial Burt Bacharach ou de jouer à l'artiste pénétré par le savoir en compagnie de la cantatrice Ann Sofie von Otter, Elvis le binoclard renoue avec l'électricité.
A 48 ans, le chanteur britannique peut encore prouver au monde entier qu'il est bel et bien l'un des songwriters les plus doués et les plus acides de sa génération. When I Was Cruel, l'opus venimeux qui déboule cette semaine dans les bacs, est tout aussi inespéré que vital à l'heure où tout le monde ou presque démisionne.
Elvis et sa collection de chansons urgentes nous ramènent au temps de la grande aventure, en pleine période punk. Durant l'été 1977, tandis que les Pistols jouaient aux nazes en se plantant des épingles à nourrice dans le nez, l'artiste né Declan Mac Manus dégoupillait dans les charts les grenades de My Aim Is True, son mémorable premier opus. Avec sa dégaine de Buddy Holly nourri aux amphétamines, il investissait la scène anglaise en casseur. Tout en beuglant les rengaines dérangées de This Year's Model, son second album et son chef-d'oeuvre le plus explicite à ce jour, l'homme remplissait un petit carnet avec les noms de tous ceux qui pensaient du mal de lui.
Quand son ampli fumait trop et qu'il n'était pas occupé à produire des groupes comme les Specials ou les Pogues, il s'en allait casser le nez à l'un de ces malfaisants. Ce comportement pour le moins radical allait lui valoir bien des inimitiés et surtout faire de lui un artiste craint niais pas réellement populaire.
S'il s'est calmé par la suite tout en continuant à sortir des albums remarquables comme Blood & Chocolate (1986), Spike (1989), Brutal Youth (1984) ou All This Useless Beauty (1996), Costello n'est jamais parvenu à accrocher le grand public comme Lou Reed ou Bob Dylan, deux artistes avec lesquels il partage méchanceté et pertinence.
On le croyait donc rangé des voitures, sur le point d'en finir avec la vie en enregistrant un inutile disque de reprise de Kurt Weill. Au lieu de cela, on le retrouve en train de fêter le printemps dans les couloirs de la: même maison de disques que Saez, Jenifer ou L5 en jouant les chansons fières et jouissives de When I Was Cruel. Epaulé par quelques membres de son ancien commando The Attractions, Elvis dégaine dans une ambiance de réverbération ou de dub infernal. Durant plus d'une heure, sa guitare griffe des mélodies urgentes et sa voix résonne dans les villes enfiévrées. A défaut de sa cruauté d'autrefois, l'homme révèle cette rage incurable qui, depuis la nuit des temps, permet les grands disques de rock.
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