Guitare & Claviers, May 1986

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Guitare & Claviers

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Le nouveau costard de Costello


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En toute liberté, Elvis Costello se proclame roi d'Amérique. Du moins est•ce le titre de son dernier album. Lui qui avait annoncé en 1982 son désir impérial, baisse d'un degré dans la prétention hiérarchique mais hausse le ton dans ses aspirations. Or, comme le rocker aux allures de comptable tient un compte serré de ses déclarations à la presse, il nous a fallu traquer son propos, escroquer la confidence, susciter la réponse et la révélation inattendue, afin d'être éclairés.

Costello est suffisamment peu coutumier du fait pour qu'on le note ; il a entrepris, depuis quelques semaines, un gigantesque tour du monde pour promouvoir son nouvel album, « King Of America ». Certainement son meilleur album. Après la veste de « Goodbye Cruel World », en 1984, Elvis a voulu, j'imagine, se réinsérer dans la longue histoire du rock. Il a laissé pourrir sur place The Attractions pour tourner seul, avec comme unique compagnon de voyage, T. Bone Burnett. (Il a produit aussi The Pogues et The Big.) Il a effectué également quelques brèves apparitions, notamment sur « Be Yourself Tonight » d'Eurythmics, sur « Absolute Beginners » de Julien Temple, aux concerts du Live Aid. Or, ce sont là des activités plutôt marginales, d'où les rumeurs à son sujet. Tout y est passé. du delirium tremens permanent à la liquéfaction de ses cellules grises en passant par l'absence totale d'esprit créatif...

L'ennui, avec Costello, c'est qu'il accorde

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une interview une fois tous les trente-six du mois et qu'il ne se donne même pas la peine de démentir les pires calomnies à son endroit. Pis, quand on le croise, au détour d'un « cocktail de promo », comme on dit par euphémisme, il arbore cet air buté des grands jours pour annoncer que toute discussion qui ne concernerait pas son dernier album en date serait suspendue sur le champ. A bon entendeur... On est d'ailleurs en droit de se demander si cet album, « King Of America », n'est pas la réponse du berger à la bergère, étant entendu que ladite pâtresse est le 30 cm. précédent, « Goodbye Cruel Word ». Pourtant, Costello se défend de toute idée de revanche d'aucune sorte ; tout en admettant les faiblesses de « Goodbye... ». Un disque un peu bâclé, qui a été enregistré à une époque où je manquais cruellement d'idées, avec des chansons composées un peu trop vite, bref un manque total de préparation. Ce qui a donné un album manquant d'inspiration, laborieux. Fatalement on le ressent à l'écoute.

A se demander, à lui demander, s'il ne faisait pas que remplir son contrat... Ce qu'il laisse entendre en expliquant qu'au départ il voulait faire un disque « live », « ouvert », comme il dit ; et que, finalement, il a abouti à un enregistrement parfaitement dépourvu de spontanéité. Tout le monde a le droit de faire des erreurs, fait-il remarquer. L'inconvénient, pour un artiste, le vinyle reste. Comme pour vous jeter à la face, de temps à autre, la preuve et l'énormité de ses erreurs...

Néanmoins, si Costello renie la forme de « Goodbye Cruel World », il n'en regrette pas le fond, à savoir les titres par euxmêmes, qui constituent les prémices de sa nouvelle façon d'écrire ; comme Joe Porterhouse, The Comedians, The Deportees Club, des titres qui ne sont plus un assemblage de phrases, mais de véritables saynettes, des tranches de vie. D'ailleurs, il avoue avoir eu l'envie de reprendre, dans « King Of America », l'un de ces titres, réarrangé en ballade : The Deportees Club. Mais je n'ai pas osé, de peur que les mauvaises langues prennent un malin plaisir à ironiser sur un hypothétique manque d'inspiration. Ce qui n'est absolument pas le cas : « King Of America » aurait pu être, sans problème, un double album. Des titres, j'en ai plein la valise. Le réalisme de Costello, face aux critiques acerbes qui ont foudroyé « Goodbye Cruel World », laisse songeur : faut-il y voir la réflexion d'un artiste honnête, après coup ? Ou bien était-il persuadé, dès la sortie de l'album, de ses défauts ?

Vous savez, les critiques ne valent que par leur comparaison aux précédentes... A la limite, j'ai eu l'impression que les rock critics se sont dit : « Enfin un album de Costello qu'on va pouvoir descendre en flèche... » Cela dit, soyons honnête, les louanges qui m'ont été largement, trop largement octroyées dans le passé, étaient également imméritées, trop dithyrambiques. Visiblement, Costello, sous une apparence de légèreté, reste sensible à ce qui se dit sur son travail, même s'il prétend considérer tout ce tapage de loin. Je n'ai pas eu besoin de la critique pour m'apercevoir que ce n'était pas un bon album. De plus. je sais, moi, que ça n'a pas été le seul !

Mais Elvis Costello a-t-il le droit de faire une telle gaffe ? Je crois qu'on en fait vraiment tout un plat ; ce n'est pas si important, tout de même ! Le fait est qu'on n'est pas toujours convaincu que le public adhère massivement à la « bonne parole » des rock critics. Comme il l'affirme luimême, il n'est ni Frank Sinatra, ni les Beatles et un album raté n'est pas une catastrophe nationale. Dans le monde du rock, je n'ai aucune influence ; qu'est-ce que ça peut lui foutre, au public, que je foire un 30 ? Il ne l'achète pas, attend éventuellement le suivant, point à la ligne. Il ne se sent pas obligé d'en faire un fromage et d'épiloguer des années durant ! Lui, il a tourné la page, il est entré dans un monde nouveau... A l'évidence, il existe peu d'artistes célèbres qui soient bons, musicalement parlant. Regardez George Michael : la musique ne constitue que cinquante pour cent de ce qu'il fait, le reste étant dévolu à s'assurer de sa célébrité. Message reçu : si certains s'investissent dans la promotion de leur individualité, Costello se contente de composer, d'enregistrer, c'est « tout »...

Pauvre Elvis, il n'a pas été épargné. Sa tournée avec The Attractions a été éreintée ; c'est tout juste si on ne lui a pas demandé de songer à une retraite anticipée. Notez que la tournée n'était pas seule à se faire éreinter ; Costello avoue avoir présumé de ses forces, de sa résistance et que vers la fin (le milieu, plutôt, non ?), il était tellement épuisé que fatalement

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cela se ressentait durement, aussi bien sur les membres du groupe que sur le résultat. Une évidence... N'était-ce pas là le tournant d'une carrière ? Je suis toujours au tournant de ma carrière !

Il faut admettre qu'il a pris cette succession de « catastrophes » du bon côté ; pour surmonter une telle crise, un tel assaut, rien de tel que d'en accepter l'existence, voire la véracité, histoire de ne pas se draper dans sa dignité et de se morfondre, en persistant dans l'erreur. J'ai connu un peu la même expérience après la tournée de « Get Happy ». Je voulais tout abandonner, ne plus enregistrer. J'ai donc décidé de m'arrêter complètement pendant six mois ; ce qui m'a immédiatement donné l'énergie, l'envie" de m'y remettre, plus que jamais. En fait, il lui suffisait de se dire déchargé de toute obligation, aussi bien de tourner que d'enregistrer, pour retrouver l'esprit libre, indispensable à sa réussite. Ce qu'il démontre à merveille lors de ses tournées en solo, une époque qui favorise des échanges avec T. Bone Burnett, un brassage d'idées qui mène tout droit à « King Of America ». ll m'est apparu que les titres de « Goodbye Cruel World » n'étaient pas foncièrement mauvais mais que je n'avais pas su trouver les mots justes, une façon limpide de raconter des choses simples. Plus question de s'enliser dans l'ésotérisme et de triturer la grammaire il suffisait de dire les choses simplement. Une musique limpide, des textes limpides. Brusquement, tout s'est éclairci pour moi, sans que je sache pourquoi ou comment, tout devenait facile, me venait spontanément. On se demande d'ailleurs si, parfois, Costello ne s'y perd pas un peu dans ses mots, dans son apparente facilité à manier la langue. Les phrases tellement obscures que luimême ne s'y retrouve plus, ça a vite fait d'ennuyer le plus baudelairien des rockers à Q.I. Ce qui a — quasiment — disparu du nouvel album, grâce aux bons soins de T. Bone qui ne laissa jamais Costello s'enfumer dans ses délires phraséologiques. Si en trois prises la chanson n'est pas dans la boite, je commence à la réécrire, à l'arranger, à la déranger plutôt, et à obtenir finalement... un résultat encore pis. Ce qui, on ne le répétera jamais assez, n'est pas le cas de « King Of America » ; certainement parce que les titres ont été mieux écrits, qu'ils ont été mieux finis, que Costello était, enfin, persuadé qu'il n'y avait rien à y reprendre, qu'ils exprimaient parfaitement ce qu'il avait voulu y mettre ; pour preuve, pour démonstration, 171 Wear It Proudly, la simplicité dans ce qu'elle a de plus beau, la beauté dans ce qu'elle a de plus simple. A se demander s'il ne suffisait pas de mettre sur le paillasson The Attractions pour retrouver l'enchantement. Originellement, l'album devait être moitié en solo et moitié avec The Attractions ; puis, en discutant des perspectives de l'album avec T. Bone, il m'est apparu que tout devait servir cette nouvelle façon de concevoir les chansons. Il fallait prendre, non pas des meilleurs que The Attractions, mais des musiciens qui collaient idéalement aux titres. Ce qui fut fait avec TCB. Une mise à l'écart dont on se doutait, depuis le concert de Costello avec T. Bone, sous l'appellation non contrôlée de « Coward Brothers », au Duke Of York, l'année dernière. Un rôle de moins en moins prépondérant qui a dû rendre fous de rage, et de jalousie envers T. Bone, les membres de The Attractions qui n'avaient pas besoin d'une telle expérience pour connaître des tensions, le mot est faible, avec Costello. Des tensions qui semblent avoir totalement disparues dans « King Of America », où l'on sent le maître à bord détendu comme il l'a rarement été, offrant une force de conviction qui fait plaisir à entendre. Nous avons cherché à casser les habitudes, à rompre d'avec ce que j'avais coutume de faire.

C'est vrai qu'il en a surpris plus d'un, l'ami Elvis. D'abord en faisant précéder la sortie de l'album d'un simple, Don? Le Me Be Misunderstood, qui a fait dire à certains : mais pourquoi diable, après un an d'absence, revient-il avec une chanson qui n'est même pas de lui ?

Je voulais simplement amener l'album, une sorte d'introduction que les gens ont mal interprétée. Une incompréhension qui semble bien souvent être le lot de Costello... Pour certaines personnes, Costello n'est plus un être humain mais une marque de fabrique, un ensemble de positions, d'attitudes attachées au nom... Un phénomène qui n'est sans doute pas étranger aux critiques récentes. Depuis dix ans qu'il arpente les allées du show business, depuis son premier album, il a évolué. Mais pas comme une entité, comme un être

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humain, normal : ce que d'aucuns ne comprennent pas toujours. Un grand sensible. Costello, un humoriste à ses heures, mais qui aurait la douloureuse sensation de toujours taper à côté de la plaque ; l'impression que ses « amis qui lui veulent du bien » prennent au sérieux ce qu'il imaginait gigantesque rigolade. On l'accuse de trip « rock n'roll star »... Un comble. On comprend mieux qu'il déprime par moment. Comme après la sortie de « Trust ». Une dépression qui le conduit à boire plus que de raison, comme on dit pudiquement ; bourré à longueur de journée, entre deux prises bien senties. Une époque dont il n'aime guère le souvenir, qu'il tente de rayer à jamais de son esprit, en l'exorcisant dans Suit Of Lights, sur « King Of America ». Qu'on ne s'y trompe pas. Dans cette chanson, ce n'est pas l'ancien Costello que j'ai voulu enterrer c'est la résurrection du vrai Costello qui éclate au grand jour. De là à déduire que certaines chansons. Suit Of Light, Brilliant Mistake notamment, des titres à la consonnance évocatrice. sont autobiographiques, il n'y a qu'un pas que nous laisse franchir Elvis. Si je n'ai pas voulu étaler mon journal intime. je dois admettre qu'on peut y voir quelques parallèles, quelques éléments personnels. Ce qui ne signifie pas qu'il faut décortiquer chacun de mes mots pour y voir je ne sais quelle allusion .1 Les chansons sont ce qu'elles semblent être, au premier niveau. n'y cherchez pas autre chose. Pourtant. l'aspect morbide de certaines phrases. dans The Big Light (la lumière encore. ce n'est pas un hasard...) notamment, le ressentiment qui s'exhale de Sleep Of The Just où l'hypocrisie est montrée du doigt. semblent vouloir dire davantage que ce que laisserait apparaître une lecture. ou une écoute, au premier degré. L'album est réussi, pourtant on n'a pas le sentiment que Costello a cherché le succès commercial à tout prix, le Top 20, ce qu'il confirme d'ailleurs : J'avais une version de Blue Chair tout à fait dans la veine succès-radio. Je n'ai pas voulu l'intégrer à l'album, elle ne me paraissait pas vraiment au point. Je n'ai aucune envie d'aller à la rencontre d'un soi-disant succès commercial si cela ne correspond pas à ce que je veux faire, l'expérience m'a appris à y prendre garde. Et je continuerai à écrire des chansons tant que j'aurai des choses à raconter, et je continuerai à enregistrer des albums jusqu'à ce que la maison de disques me balance dehors. Vous savez, sans vouloir être désagréable, je ne me préoccupe plus des critiques journalistiques. Ce que je fais me semble plus important que la façon dont c'est perçu.

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Guitare & Claviers, No. 63, May 1986


Guitare & Claviers interviews Elvis Costello.

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