Le Monde, December 6, 2013

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Le dernier cocktail d'Elvis Costello


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   Aureliano Tonet

"Je suis un buveur secret de limonade." "I'm a Secret Lemonade Drinker," en version originale : c'est par ces paroles pétillantes, vantant les mérites d'un breuvage citronné, qu'Elvis Costello fait son entrée en chanson. Nous sommes en 1973, Elvis a 20 ans. A dire vrai, il ne s'appelle encore ni Elvis ni Costello, mais Declan Patrick MacManus. Avec son trompettiste de papa, il compose des jingles pour des campagnes publicitaires, à la télévision.

Il lui faudra attendre quatre ans avant de trouver un pseudonyme, un label et des chansons plus adaptées à un garçon de son âge : son premier album, My Aim is True (1977), l'intronise espoir du « pub rock », courant très britannique qui englobe tout chanteur capable de tirer un poivrot de sa torpeur éthylique. Qu'à cela ne tienne, Costello met bientôt du vin dans son eau, pour mieux brasser, au fil des albums, tout ce que la musique compte de cépages, de moûts et de gnôles.

Ce, jusqu'à ce que Costello, désormais âgé de 59 ans, ne surprenne son monde, en septembre 2013, dans un documentaire de la BBC : la main sur le coeur, tel un pochetron repenti, il y jure que son nouvel album, l'excellent Wise Up Ghost, enregistré avec le groupe hip-hop The Roots, sera le dernier de sa discographie. Information à absorber avec prudence lorsque l'on connaît la soif qui assèche, à intervalles réguliers, le gosier d'Elvis Costello...

En septembre 2013, Elvis Costello, âgé de 59 ans, a annoncé que Wise Up Ghost serait son dernier album.

« Elvis qui ?! », nous interrompez-vous, perplexe devant ce nom qui ne vous évoque rien. Détrompez-vous : sans le savoir, vous avez forcément déjà dégusté du Costello. Qu'importe le flacon, il vous a enivré, ne serait-ce qu'une fois ; quelle que soit votre tasse de thé, il y a versé sa goutte.

Liseur compulsif, vous l'avez ingurgité à la lecture de Haute Fidélité, le best-seller de Nick Hornby, ou de Moins Que Zéro et Suite(s) Impériale(s), de Bret Easton Ellis, qui tirent tous trois leur titre d'un de ses morceaux. Téléphage averti, vous l'avez aperçu au détour d'un épisode des Simpsons, de Treme, de Mon Oncle Charlie ou de 30 Rock, où il joue à chaque fois son propre rôle. Cinéphile, vous l'avez vu au générique de Coup de foudre à Notting Hill, Austin Powers : L'Espion Qui m'a Tirée ou de Ricky Bobby : Roi Du Circuit.

Féru de spectacles, vous l'avez applaudi dans l'opéra de Steve Nieve, Welcome To The Voice, ou dans la comédie musicale de Stephen King, Ghost Brothers Of Darkland County. Amateur d'art, vous avez admiré l'œuvre qu'a conçue, en 1979, le collectif de graphistes Bazooka pour la pochette son album Armed Forces. « J'appréhende mes disques de manière très visuelle, comme des collages », glisse d'ailleurs le binoclard, dont la collection de lunettes, par la richesse de son nuancier – noir, grenat, orangé... –, épaterait bien des galeristes.

Quant aux disquaires, cela fait belle lurette qu'ils ne savent plus dans quel rayon ranger ses albums, lui qui a siphonné tous les courants musicaux, avec plus ou moins de bonheur. Le jazz, que lui a fait découvrir son père, irrigue sa discographie, éclaboussée de collaborations avec des sommités du genre, du pianiste Allen Toussaint au guitariste Bill Frisell, du divin Chet Baker à la diva Diana Krall, devenue son épouse en 2003.

En parallèle, Costello porte plusieurs toasts à la gloire de la country, mêlant ses plus nasillardes inflexions à celles des égéries George Jones ou Emmylou Harris. Il en profite pour trinquer avec des musiciens classiques, comme en témoigne le ballet Il Sogno, publié par le prestigieux label Deutsche Grammophon.

Mais c'est dans les caves du rock et de la pop que son débit est le plus spectaculaire : ce Costello-là combat aux côtés de combos ska (The Specials), punk (The Pogues) ou indie (The Strokes), lance la carrière de Ron Sexsmith, relance celle du Burt Bacharach, offre ses meilleures compos aux idoles Robert Wyatt, Roy Orbison ou Roger McGuinn... Paul McCartney, avec lequel il écrit une douzaine de morceaux, va jusqu'à comparer leur complémentarité à celle qu'il entretenait avec John Lennon.


Aujourd'hui, Costello siffle donc des airs et des verres avec The Roots. Une incursion hip-hop qui n'étonnera guère ceux qui goûtèrent, en 1980, les accents soul de son quatrième album, Get Happy!!, ou ceux qui le virent, en 1999, saboter l'émission américaine « Saturday Night Live » avec la complicité des Beastie Boys. En un sens, il y a toujours eu chez Costello un rappeur qui sommeillait. Comme si sa scansion alerte et nerveuse, à la lisière du chanté-parlé, son goût du paradoxe et de la provoc, ses textes à triple fond avaient trouvé, dans la fiole rythmique et mélodique que lui offrent The Roots, le récipient idoine.

Un soir de 1979, passablement éméché, Costello traite de « nègres » Ray Charles et James Brown, avant de se confondre en excuses. Sous un certain angle, il passera sa carrière à essayer de laver cet incident, quêtant les collaborations artistiques comme l'on quête une absolution. L'Anglais, dont les origines irlandaises ne doivent pas être mésestimées, n'est-il d'ailleurs pas, de tous les chanteurs, celui qui chante le mieux la faute, la culpabilité (cf. ses chefs-d'oeuvres "Almost Blue," "Indoor Fireworks" ou "I Want You") ?

« Mon public est restreint, mais il est composé de personnes que j'estime et admire. Cela fait de moi le plus heureux des hommes », se satisfait aujourd'hui celui qui dit vouloir se consacrer à ses enfants ; sa voix ressemble à celle d'un poulbot, rincée par des litres de limonade.

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Le Monde, December 6, 2013


Aureliano Tonet profiles Elvis Costello following the release of Wise Up Ghost.


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