Les Inrockuptibles, November 30, 2000

From The Elvis Costello Wiki
Jump to navigationJump to search
... Bibliography ...
727677787980818283
848586878889909192
939495969798990001
020304050607080910
111213141516171819
202122232425 26 27 28


Les Inrockuptibles

France publications

Newspapers

Magazines

Online publications


European publications

-

Mumu

Steve Nieve

translate
   Christophe Conte

Premier album de chansons signé Steve Nieve, le pianiste exubérant d'Elvis Costello, Mumu est une collection fragile de vignettes domestiques interprétées avec élégance. Un éternel naïf a trouvé sa voix.

Sorti dans une indifférence lugubre au cours de l'été 2000, le film français Sans plomb était un objet modeste et maladroit, bâti néanmoins sur un ressort scénaristique à la Nick Hornby qui le rendait profondément attachant. On y voyait un jeune homme, gérant d'une station-service sur une route de campagne, fanatique d'Elvis Costello au point d'avoir tapissé les murs de son commerce avec des posters de son idole tandis que les chansons d'Elvis le Magnifique tournaient également en boucle sur le radiocassette du magasin. Le garçon, cloisonné dans ses complexes, se montrait incapable de déclarer sa flamme à la voisine d'en face, tandis que son plus proche ami, fan de Cassius et de techno pour autos tamponneuses, obtenait de bien meilleurs scores auprès des filles. Le clou de ce petit road-movie immobile, c'était l'apparition surréaliste de Costello lui-même comme client de la station. La réalisatrice, Muriel Téodori, une ancienne journaliste dont c'était là le premier long métrage, est la compagne dans la vie de Steve Nieve, claviériste de Costello depuis un quart de siècle, ce qui aide à mieux démêler les fils de cette improbable connexion.

Muriel, alias "Mumu", est également la (mu) muse du premier album de chansons composé par Nieve après une triplette de disques de piano solo publiés pendant les rares moments de creux que lui aura laissés son job à temps plein, au sein des Attractions notamment, mais aussi sur tous les projets annexes de Costello. Fidèle lieutenant de l'ombre, Nieve a pourtant toujours été l'artisan majeur du son des Attractions, sur disque (des chansons comme Pump It up ou Shabby Doll reposent en grande partie sur ses claviers) et aussi sur scène où, dans le rôle du ludion exubérant à la Jerry Lee Lewis, il était parfois l'attraction principale du Costello Show. Dernièrement encore, accompagnant son mentor pour d'inégalables concerts piano-voix à travers le monde, ou lors des récents récitals avec Burt Bacharach, Nieve assurait un spectacle fabuleux en faisant vrombir ses claviers comme s'il s'agissait de bolides supersoniques, occupant l'espace avec une fougue et une créativité incroyables.

En France, il a joué avec Chamfort sur deux albums (dont le très sobre et élégant Neuf), continue de l'accompagner de temps en temps sur scène et on l'a également vu déployer ses gammes pour Vanessa Paradis lors de sa dernière tournée. Auteur, en compagnie cette fois de Muriel Téodori, d'un opéra contemporain intitulé Welcome to the Voice ­ qui fut donné l'an dernier à New York avec notamment Costello et Ron Sexsmith dans les rôles principaux ­, il ne manquait plus à Nieve qu'une corde à son arc, la plus sensible, celle qui consisterait à écrire et réaliser des chansons pour son propre compte.

A en croire le titre du morceau d'ouverture de Mumu, Confident Again, le passage au songwriting et au chant ne fut en rien une formalité pour quelqu'un comme lui, habitué à jouer les sidemen de luxe mais peu préparé à devenir subitement l'attraction principale : "J'ai eu la chance de grandir et d'évoluer aux côtés d'un des compositeurs et paroliers les plus doués des trente dernières années. J'ai rejoint Costello en 1978 alors que j'étais encore adolescent, j'ai participé à quasiment tous ses disques et j'ai beaucoup appris de lui. Je n'ai pas son talent ni sa facilité d'écriture, et si j'écris des chansons depuis longtemps, c'est la première fois que j'ose les enregistrer. Je suis quelqu'un qui a toujours terriblement manqué de confiance, dans mes relations privées comme dans mon travail de musicien, et c'est Muriel qui m'a aidé à acquérir peu à peu cette confiance qui me faisait défaut, au point de m'empêcher parfois d'avoir des relations saines avec mon entourage. Si le disque porte tant l'empreinte de cette fille, Mumu, c'est parce qu'il n'aurait jamais pu voir le jour sans elle."

Enregistré en France avec une formation réduite mais scrupuleusement choisie (les New-Yorkais Marc Ribot à la guitare et Ned Rothenberg à la clarinette et au saxo, le Français Vincent Segal au violoncelle), l'album confère un maximum d'espace au piano et à divers claviers électriques mais laisse surtout à la voix blanche et murmurante de Nieve la place nécessaire pour installer une intimité, une proximité bienvenues. Hormis un morceau banalement rock (American Dream) et une parodie electro-funk usinée avec les deux autres membres des Attractions, Pete et Bruce Thomas (Young People), Mumu se rapproche dans l'ensemble des architectures minutieuses et miniatures des Nits, évoque souvent la langueur magique d'un Robert Wyatt et les trios sublimes gravés pour le label Owl par Paul Bley, Jimmy Giuffre et Steve Swallow.

"Je dois également à Muriel le fait de m'avoir ouvert à des musiques dont j'ignorais l'existence. Elle m'a fait découvrir Paul et Carla Bley, certains disques de Brian Eno, et ces influences m'ont profondément marqué sur ce projet. Je prends toujours beaucoup de plaisir à faire du boucan avec mes copains des Attractions, mais lorsque je me retrouve seul à composer, c'est plus dans cette direction intimiste de la musique contemporaine que je me dirige naturellement. Quant à ma voix, l'écoute attentive de Robert Wyatt et de Brian Eno, même si je suis loin de posséder leur génie, m'a appris à dominer mes défauts et à assumer le fait d'être un chanteur qui s'exprime sans l'intention réelle de chanter."

Sur les titres les plus aboutis de Mumu, le très nitsien Cello ou le méga-Wyatt Words, la voix de Nieve capture des émotions frivoles et les transcende avec une justesse et une retenue admirables. Dans ses meilleurs moments, l'album parvient à retranscrire une gamme saisissante de frémissements, de bruissements, de soupirs calfeutrés et indicibles. La simplicité et la sincérité de la chanson-titre, par-delà le message privé, donne à la couleur générale de l'album un reflet domestique, immédiatement chaleureux, qui en fait l'un des plus beaux traités du bonheur conjugal entendu depuis les chansons de Lennon pour Yoko il y a trois siècles.

Mais Mumu, sous ses dehors parfois intimidants, avec son instrumentation tout en touches fluides et économes, n'est pas l'œuvre adulte et barbante d'un quadra qui chercherait à se racheter d'avoir été trop longtemps un ado attardé. Il y a aussi une dimension ludique dans ces chansons où Nieve fait mumuse avec ses claviers, leur fait produire d'étranges sonorités en tire-bouchon (dont un hommage éclair à Morricone sur Keyboard), histoire de désamorcer un minimum l'ambiance générale de recueillement pastoral qui saute d'emblée aux oreilles. Il ne faut pas perdre de vue qu'à l'origine, le jeune étudiant du Royal College of Music de Londres transforma son patronyme de naissance, Steve Nason, en Steve Nieve parce que la sonorité en rappelait le mot "naive", le trait principal de son caractère, celui dont il assume encore le poids aujourd'hui.

"Mon troisième album instrumental (après Keyboard Jungle en 1983 et Playboy en 1987), It's Raining Somewhere, fut publié sous le nom de Steve Naive, je suis quelqu'un de profondément naïf et ma musique est aussi très naïve. On m'a parfois décrit comme un virtuose, les gens pensent que j'aurais dû embrasser une carrière de concertiste, mais en réalité, j'ai une approche très minimale et intuitive de la musique. Pour ce disque, que ce soit au niveau des textes, des compositions ou en studio avec les musiciens, j'ai essayé de faire le plus simple possible. Je voulais qu'on devine, à l'heure où les machines dominent le monde, qu'il y avait encore quelques humains à bord."

-

Les Inrockuptibles, November 30, 2000


Christophe Conte reviews Mumu.



-



Back to top

External links