Montreal Devoir, May 3, 1978

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Elvis Costello — Un contestataire sympathique et brillant


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   Nathalie Petrowski

Lorsqu'à dix heures trente dimanche soir au St-Denis, le public de la nouvelle vague, celui qui porte les pantalons noirs de sa puberté, la vieille cravate défraichie de son ancêtre, celui qui affiche un air delibérément désabusé et aime se situer quelque part entre Annie Hall et Jean-Luc Godard s'est retrouvé dans le noir, le désabusément a fait place à une franche anticipation.

Quelques minutes auparavant, ce même public applaudissait Mink De Ville, version italo-americaine du rock des annees 50 et Nick Lowe, jeune britannique au rock assourdissant et au verbe mordant et dépressif. Deux numéros intéressants qui m'intriguèrent pendant les cinq premiéres minutes. mats qui progressive-merit, a force de se répéter, m'entrainerent au pays des baillements difficilement refoules. Lorsque le flair se fit pour une troisiéme fois, le désabusement commençant moi aussi á me gagner, j'etais bien decidée a ne pas me laisser prendre au piége, à ne pas succomber à la tentation totalitaire, à garder mes distances et á assumer jusqu'au bout cet oeil critique que je traine de plus en plus comme un boulet. J'etais bien decidee et puis tout à coup. Elvis Costello était la devant moi, en chair et en os, enfant chéri de la mediamanie que je rencontrai enfin en trois dimensions. À dix heures trente exactement, je me suis retrouvée dans mon, siège, ridicule et penaude, complètement fascinée par le personnage et je n'arrive pas encore à me l'expliquer.

A bien y penser, il y a un petit côté Woody Allen, chez Costello, un petit côté fin de décennie, fin du monde, un petit côté nous allons tous mourir qui m'attire aussi bien chez l'un comme chez l'autre.

À eux deux, ils incarnent sur la scene comme sur l'ecran, l'emergence d'un nouveau stéreotype qui fait l'apologie de l'homme ordinaire, ouvrier ou technocrate, insatisfait de son quotidien, roseau penchant et reflechissant sur sa condition d’aliené. Un homme á lunettes, représentatif de l'intellectuel des annees 70, celui qui pense sans pour autant sacrifier son émotivité, celui qui conteste sans descendre dans la rue, un intellectuel réformé. partage entre sa lucidité et sa passion, entre sa révolte et sa desillusion: un homme plein de contradictions mais un homme enfin vivant!

Ne en Angleterre comme la plupart des mythes culturels des dernieres années (et je pense ici aussi bien aux Beatles qu'à Bowie) Elvis Costello, de son vrai nom Declan MacManus, 23 ans, travaillait encore il y a à peine deux ans à l'usine d'Elizabeth Arden en tant que programmateur d'ordinateur. Comme Patti Smith, c'est un homme du peuple qui a connu les rigueurs de la semaine de 9 à 5, un homme près de ses ravines urbaines et qui nous change enfin des vedettes croulantes et bedonnantes, enfermees á coeur de jour dans leur tour d'ivoire et evoluant dans l'univers dos de la paranoia et des egos eclates. Son histoire en est une de banlieue où le fils d'ouvrier décide un beau jour de tout laisser tomber pour se consacrer à la musique et à la poesie. Changeant de nom et surtout de prenom, cherchant à usurper une place qui lui revient peut-être, il part à la conquète d'une decennie troublee. Son image délibérément inesthetique est un coup de genie, un habile effort de marketing artistique qui ne manque pas d'attirer l'attention de tous: lunettes á contours epais et noirs, costume froisse toujours mal ajusté, pantalons trop courts, cheveux ras. Maigre et chètif, Costello envoie paitre tous ces beaux grands males paradeurs et imbus d'eux-memes. Il meprise la societé de consommation, societé plastique et cosmetique qui valorise l’image avant l’etre. Sa musique est fondamentalement honnête, directe et quelque peu dangereuse. Des rythmes agressifs, impulsifs qui vont chercher le spectateur dans son siège, le prennent par l'estomac et les trippes pour le fare vibrer.

De tous les adeptes du nouveau vocabulaire, ceux qui par snobisme ou par ambition endossent les concepts punk, new wave, power-pop, Costello est la seul qui a compris et assimilé le mouvement pour finalement se l’approprier avant les autres et donner une veritable raison d'être. Loin de se borner à l'art de la reproduction, art que les autres groupes de la nouvelle vague n'ont pas encore depasse. Costello devance le pop-art et cree une musique ambivalente, à michemin entre la tendresse du passé et le choc du futur. Incorporant des refrains populaires au sein d’une charpente souvent complexe, il en arrive à une osmose entre la rythmique élementaire du rock 'n' roll et le classicisme de melodies sophistiquees. De plus et c’est en fin de compte la que réside tout l'interêt. Costello chante avec l’urgence poignante de ceux qui ont une vision á partager, comme s'il en dependait de sa vie et de la notre.

Contestataire, Costello ne l'est pas au même titre que Dylan, il l'est d’une façon plus subtile et instrospective, une contestation qui ne se situe pas au niveau collectif et social mais à un niveau existentiel et humain. Le regard traque derriere ses grosses lunettes. Costello exprime finalement noire propre angoisse face à une epoque troublee et troublante. L’enigme dans tout cela c'est que ses spectacles ne sont pas penibles malgré l'intensite de la force de frappe qui les anime. Pour la premiere fois depuis longtemps, je suis sortie du spectacle en souriant. Pour une fois je n'ai pas senti l'homme dans sa cage de verre, je l'ai senti, present, palpable, lucide, conscient. je l’ai entendu me parler, nous parler, pour la première fois j'ai cru comprendre que si Elvis Costello est sur une scene, c'est parce qu'il est en fait assis dans la salle avec nous tous.


Tags: Theatre St. DenisMontrealQuebecCanadaThe AttractionsNick LoweMink DeVille

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Le Devoir, May 3, 1978


Nathalie Petrowski reviews Elvis Costello & The Attractions with opening acts Nick Lowe and Mink DeVille, Sunday, April 30, 1978, Theatre St. Denis, Montreal, Quebec, Canada.

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Photo by Chris Gabrin.


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