“L’homme qui voudrait ètre roi “ Tel est le verdict de Nick Kent, prince des journalistes britaniques, lorsqu’il croise Elvis Costello dans un pub, au mois d’août 1977. De fait, Costello, 23 ans a l’epoque, est un gaes pressé.
Non content de mener l’interview a coups de triples Pastis, celui qui es ne Declan McManus se voit deja en Dylan de l’ère moderne. “My Aim Is True” son premier album a l’ecriture seree et aux riffs nerveux, a fait l’effet d’une bombe au moment de sa sortie au printemps precedent. Le petit binoclard teigneux vient de réunir un groupe féroce, les Attractions, et prepare sa conquéte des Etats-Unis a la manière du général Patton.
UN PETIT CALEPIN NOIR
Un peu trop hiervement assimile a la vague punk qui deferie alors, Costello partage avec cette derniere un refus visceral d’écrire des chansons d’amour “il n’y a que deux trucs qui ce poussent a ecrire: la vengeance et la culpabilite” note Kent dans son livre “The Dark Stuff”. La legende d’un rocker qui ferait passer Lou Reed pour le plus affable des bisou-nours est née. On raconte que l’artiste se balade avec un petit calepin noir dans lequel il note le nom de tous ceux qu’il n’aime pas. Si l’on en juge par la fulgurance de “This Year Model”, son album de 1978, on ne peut que constater que la haine va bien au garҫon. En cette fin de decennie, il est sans conteste sur le toit du monde. L’Amerique (la cote ouest en particulier) fait un triomphe à ce chroniqueur vachard dote d’un timbre suintant la morgue et la rage aux côtés de musiciens brillants qui taillent à coups de machette un rock hérité de Buddy Holly.
Dès le début des eighties pourtant, Costello modere gentiment ses ardeurs de petite frappe. Il dévoile ainsi ses talents de producteur en peaufinant le grandiose premier album des Specials, groupe de ska qui ne va pas tarder à devenir célèbre dans la monde entier.
ERUDIT ET RESPECTABLE
Et, surtout, au fil d’ouvrages deroutants mais souvent impeccables (“Get Happy!”, “Almost Blue”), le jeune caid commence a partager avec ses auditeurs son impressionante culture musicale. En passant sans effort de la soul vintage faҫon Stax a la pop musique alambiquee apres un detour par les chemins country les moins balises, il pend certes une partie non negligeable de ses fans mais fait son entrée dans l’histoire du rock dans la peau d’un professeur erudite et respectable. Sans le moindre reliche, il aligne les albums, produit “Rum, Sodomy The Lash”, l’opus mythique du groupe folk irlandais The Pogues (dans lequel sa seconde epouse, Cait O’Riordan, tient la basse), compose pour ses idoles Roy Orbison ou Paul McCartney et commence meme a flirter avec la musique classique des le debut des annees 1990.
Aujourd’hui a bientôt 56 ans, Elvis Costello est une institution de la musique populaire á lui seul. Une encyclopedie aussi, un peu à la maniere d’un Jack White (The Dead Weather est a voir á Montreux le 3 juillet sur la scène de Miles Davis Hall). Si ses incursions dans la musique classique nous inspirez quelques réserves (quel fan raisonnable de “My Aim Is True” a vraiment envie de s’envoyer “Il Sogno”, variation pompeuse autour da “Songe d’une nuit d’étés de William Shakespeare”), il faut bien admettre que son parcours récent surpasse les coups d’eclat de ses débuts.
UN OUVRAGE COUNTRY FOLK
En une petite decennia, Costello a grave une poignee de chefs-d’oeuvre incontestables. On pense à “Painted From Memory”, disque facteux compose avec Burt Bacharach, l'immense compositeur pop des sixties. On pense aussi aux superbes “When I Was Cruel”, “The Delivery Man” et “Momofuku” enregistres avec The Imposters (soit The Attractions en version legerement remaniee). On pense encore a “The River In Reverse” odyssee soul post-Katrina concotee avec Allen Toussaint, pianiste, compositeur et arrangeur mythique de La Nouvelle-Orleans. On pense enfin au recent “Secret, Profane Sugarcane”. C’est d’ailleurs cet ouvrage country folk vibrant qui servira de bose au concert de Montreux, prevu le meme soir et sur la meme scene que Diana Krall, son epouse actuelle. Une conclusion provisoire aux allures romantiques pour un auteur majeur, consonne depuis belle lurette sur tous les fronts du combat rock.
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