1 My Aim Is True
1977. Ça passe ou ça casse. En Angleterre, les punks se ruent sur la musique, le rock tout estourbi se retrouve dans la rue, on y danse avec violence et les extravagances y prennent a nouveau le pouvoir. Parmi elles, cette race écrabouillée depuis la fin des swinging sixties, les song-writers — performers, ces auteurs, compositeurs-hommes orchestres qui font les délices des périodes chaudes. Les délices, mais pas le terreau; Ian Dury et Elvis Costello ont éclaté parce que les temps les portaient, et non le contraire. Le premier fit un tabac avec son pied-bot, son humour décapant et sa gouaille populaire ambitieuse. Le second portrait l’ingratitude a un degré d’incandescence inconnu depuis Gene Vincent. Dury allait s’imposer en trois tubes drolatiques et virulents. Costello inoculer quelque chose de prime abord indicible aux alentours des charts: la rage et l’intelligence parfaitement accouplées, une rage d'être mal et une intelligence de vouloir tout. Par sensations, verbe et musique interposés.
Et quels donc! “My Aim Is True” fait un sacré morceau de disque pétard, et encore maintenant, on se demande bien par quel avatar notre jeune homme trouva acquéreur et partenaires: mais Stiff osait tout avec astuce, Nick Lowe, savait s’organiser et les éclopés des Clover (groupe country-blues londonien) n’avaient plus rien à perdre. Les douze titres font la part belle aux guitares, et de fait un certain style de rock anglais bien trempé de blues tente de s’imposer. Seulement voilà, même bluesy, Costello regagne en acidité, et son jeu à lui est si pète-sec, si brutal qu’on est d'emblée projeté à l'opposé d’un pub-rock hilaire et paillard.
Car cet Elvis-la, a peine vingt et un ans, racle a fond les tiroirs pleins de la fureur et de la frustration. “Less Than Zero” et “I’m Not Angry” tiennent encore la route six ans après, et dans le genre acné, c’est tout dire (au vrai, un très efficace portrait pour éclats à venir, et “Alison”, au-delà de sa redoutable suavité, crève l'écran des nuits suantes et désespérées grâce à la puissance d’exigence qu’il contient. Linda Ronstadt tentera de s’en faire un lifting, mais la pauvrette, en dépit de sa belle voix, ne trouvera jamais le pourquoi de celle de son auteur; rage et intelligence, disais-je, mais appel radical a l’amour, ce truc pourri qu’en 77, on n’encaissait qu’en cherchant le coups.
2 This Year's Model
Un an plus tard, les thèmes obsessionnels de Costello, loin de s’estomper dans une maturation de bon aloi, s’affinent et percent tout ce qu’ils visent. «This Year’s Model» est un festival de la vengeance personnelle tous azimuts, mais un festival particulièrement consistant, et percutant. A cause des textes, bien sûr (tous enrichis d’un sens de l’image qui accroche le défaut, le déboire, la lâcheté surtout, à l’aide de phrases épingles pas entendues depuis le Dylan sanguinaire de «Positively Fourth Street»), qu’on pourrait caractériser globalement d’anti-poesie à la façon des scenarii hyper-précis et touchants de Dashiell Hammett: plus renfrogné et distant qu’aucun de ses prétendus contemporains, Elvis Costello invente un langage concis et porteur proper à découper tous les clichés au chalumeau de son infini volontarisme.
|