Costello est suffisamment peu coutumier du fait pour qu'on le note ; il a entrepris, depuis quelques semaines, un gigantesque tour du monde pour promouvoir son nouvel album, « King Of America ». Certainement son meilleur album. Après la veste de « Goodbye Cruel World », en 1984, Elvis a voulu, j'imagine, se réinsérer dans la longue histoire du rock. Il a laissé pourrir sur place The Attractions pour tourner seul, avec comme unique compagnon de voyage, T. Bone Burnett. (Il a produit aussi The Pogues et The Big.) Il a effectué également quelques brèves apparitions, notamment sur « Be Yourself Tonight » d'Eurythmics, sur « Absolute Beginners » de Julien Temple, aux concerts du Live Aid. Or, ce sont là des activités plutôt marginales, d'où les rumeurs à son sujet. Tout y est passé. du delirium tremens permanent à la liquéfaction de ses cellules grises en passant par l'absence totale d'esprit créatif...
L'ennui, avec Costello, c'est qu'il accorde
une interview une fois tous les trente-six du mois et qu'il ne se donne même pas la peine de démentir les pires calomnies à son endroit. Pis, quand on le croise, au détour d'un « cocktail de promo », comme on dit par euphémisme, il arbore cet air buté des grands jours pour annoncer que toute discussion qui ne concernerait pas son dernier album en date serait suspendue sur le champ. A bon entendeur... On est d'ailleurs en droit de se demander si cet album, « King Of America », n'est pas la réponse du berger à la bergère, étant entendu que ladite pâtresse est le 30 cm. précédent, « Goodbye Cruel Word ». Pourtant, Costello se défend de toute idée de revanche d'aucune sorte ; tout en admettant les faiblesses de « Goodbye... ». Un disque un peu bâclé, qui a été enregistré à une époque où je manquais cruellement d'idées, avec des chansons composées un peu trop vite, bref un manque total de préparation. Ce qui a donné un album manquant d'inspiration, laborieux. Fatalement on le ressent à l'écoute.
A se demander, à lui demander, s'il ne faisait pas que remplir son contrat... Ce qu'il laisse entendre en expliquant qu'au départ il voulait faire un disque « live », « ouvert », comme il dit ; et que, finalement, il a abouti à un enregistrement parfaitement dépourvu de spontanéité. Tout le monde a le droit de faire des erreurs, fait-il remarquer. L'inconvénient, pour un artiste, le vinyle reste. Comme pour vous jeter à la face, de temps à autre, la preuve et l'énormité de ses erreurs...
Néanmoins, si Costello renie la forme de « Goodbye Cruel World », il n'en regrette pas le fond, à savoir les titres par euxmêmes, qui constituent les prémices de sa nouvelle façon d'écrire ; comme Joe Porterhouse, The Comedians, The Deportees Club, des titres qui ne sont plus un assemblage de phrases, mais de véritables saynettes, des tranches de vie. D'ailleurs, il avoue avoir eu l'envie de reprendre, dans « King Of America », l'un de ces titres, réarrangé en ballade : The Deportees Club. Mais je n'ai pas osé, de peur que les mauvaises langues prennent un malin plaisir à ironiser sur un hypothétique manque d'inspiration. Ce qui n'est absolument pas le cas : « King Of America » aurait pu être, sans problème, un double album. Des titres, j'en ai plein la valise. Le réalisme de Costello, face aux critiques acerbes qui ont foudroyé « Goodbye Cruel World », laisse songeur : faut-il y voir la réflexion d'un artiste honnête, après coup ? Ou bien était-il persuadé, dès la sortie de l'album, de ses défauts ?
Vous savez, les critiques ne valent que par leur comparaison aux précédentes... A la limite, j'ai eu l'impression que les rock critics se sont dit : « Enfin un album de Costello qu'on va pouvoir descendre en flèche... » Cela dit, soyons honnête, les louanges qui m'ont été largement, trop largement octroyées dans le passé, étaient également imméritées, trop dithyrambiques. Visiblement, Costello, sous une apparence de légèreté, reste sensible à ce qui se dit sur son travail, même s'il prétend considérer tout ce tapage de loin. Je n'ai pas eu besoin de la critique pour m'apercevoir que ce n'était pas un bon album. De plus. je sais, moi, que ça n'a pas été le seul !
Mais Elvis Costello a-t-il le droit de faire une telle gaffe ? Je crois qu'on en fait vraiment tout un plat ; ce n'est pas si important, tout de même ! Le fait est qu'on n'est pas toujours convaincu que le public adhère massivement à la « bonne parole » des rock critics. Comme il l'affirme luimême, il n'est ni Frank Sinatra, ni les Beatles et un album raté n'est pas une catastrophe nationale. Dans le monde du rock, je n'ai aucune influence ; qu'est-ce que ça peut lui foutre, au public, que je foire un 30 ? Il ne l'achète pas, attend éventuellement le suivant, point à la ligne. Il ne se sent pas obligé d'en faire un fromage et d'épiloguer des années durant ! Lui, il a tourné la page, il est entré dans un monde nouveau... A l'évidence, il existe peu d'artistes célèbres qui soient bons, musicalement parlant. Regardez George Michael : la musique ne constitue que cinquante pour cent de ce qu'il fait, le reste étant dévolu à s'assurer de sa célébrité. Message reçu : si certains s'investissent dans la promotion de leur individualité, Costello se contente de composer, d'enregistrer, c'est « tout »...
Pauvre Elvis, il n'a pas été épargné. Sa tournée avec The Attractions a été éreintée ; c'est tout juste si on ne lui a pas demandé de songer à une retraite anticipée. Notez que la tournée n'était pas seule à se faire éreinter ; Costello avoue avoir présumé de ses forces, de sa résistance et que vers la fin (le milieu, plutôt, non ?), il était tellement épuisé que fatalement
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