Elvis Costello avait reçu carte blanche pour établir le menu de mardi soir au Miles Davis Hall, la petite salle du Festival de jazz de Montreux. Jouant à merveille sur une ambiance montreusienne qui oscille trop souvent entre le clinquant criard et le snobisme aseptisé, Costello a su parfaitement tirer parti de cette humeur mi-chic mi-raisin, en présentant un spectacle intime.
En ouverture de la soirée, the Jazz Passengers s'acoquinaient avec humour à l'ancienne chanteuse de Blondie, Debbie Harry. Selon la tradition, Costello les rejoint pour un finale un peu sec, mais le deuxième volet fut plus consistant. The Brodsky Quartet est un des jeunes quatuors à cordes les plus en vue du moment; outre leur collaboration avec Elvis Costello, ils sont connus pour leurs programmes qui incluent une bonne proportion de musique contemporaine, notamment dans le domaine répétitif et dans celui de la nouvelle spiritualité. Dans le sillage du Chronos Quartet, cet ensemble classique mené depuis dix ans par Michael Thomas et sa soeur Jacqueline, est réputé pour être très moderne: faisant attention à leur présentation, habillés par le styliste Miyaké et ayant enregistré avec succès l'intégrale des quatuors de Shostakovitch.
Leurs arrangements des chansons de Costello sont forcément élaborés. Ils s'accordent sur ce terrain aux difficiles cheminements harmoniques qu'emprunte le chanteur à la voix. Dans le dénuement serein de cette instrumentation inhabituelle, son timbre éraillé de rockeur détonne. Si les deux styles peinent à se mélanger véritablement, ils trouvent un terrain d'entente intéressant. On croirait entendre un étrange orchestre radiophonique des années 40.
La mine visiblement ravie du maitre de cérémonie, laissait augurer une belle soirée; d'une belle nuit. Lorsqu'il remonte sur scène il est prêt d'une heure du matin. Sa voix est légèrement éraillée, mais il exécute ses habituelles acrobaties vocales sans l'ombre d'une défaillance. Derrière lui, the Attractions originaux cognent dur avec une extraordinaire sobriété: les deux frères Thomas à la rythmique et Steve Nieve aux divers claviers.
Il ne reste pas énormément de public pour être témoin de la fulgurance de l'ensemble. Si les anciens morceaux de bravoure (un I dont tuant to go to Chelsea étonnant) récoltent illico l'approbation du public, les nouvelles pièces tirées du dernier album Ail this Useless Beauty sont transfigurées par le traitement scénique. Stériles sur disque, les arrangements compliqués prennent toute leur ampleur dans le feu de l'action, déployant la puissance d'un rock somme toute basique.
Et l'on découvre ainsi trois facettes du personnage Costello. Et trois fois le charme opère.
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