Une idée folle pour une entreprise titanesque. Réunir, dans un opéra, des stars de la pop - Elvis Costello, Sting et Robert Wyatt - des divas du chant lyrique - la soprano américaine Barbara Bonney - des jazzmen et un ensemble à cordes, le Brodsky Quartet. «Impossible à réaliser, mais bonne chance!» répondaient les patrons des maisons de disques auxquelles s'adressait Steve Nieve. C'était sans compter sur l'obstination de ce pianiste anglais, compositeur et accompagnateur des plus grands du rock. Résultat: après onze ans de travail, Nieve est parvenu à réaliser son rêve, Welcome to the Voice. Et avec un tel casting, le label Deutsche Grammophon s'est empressé d'assurer la distribution du disque.
Elvis Costello fut le premier à avoir accepté de participer à l'aventure. Les deux musiciens travaillent ensemble depuis trente ans. «Steve a composé nuit et jour pendant nos tournées, se souvient Costello. J'ai été ébloui par cette musique qui alliait admirablement classique, jazz et violons tsiganes.» Il est aussi transporté par le livret de la psychanalyste française Muriel Teodori: un immigrant grec, Dionysos, tombe amoureux d'une diva et quitte son travail de fondeur pour se consacrer à sa passion du chant. Costello décide d'abord d'interpréter Dionysos. Welcome to the Voice est créé à New York, en 2000, au Town Hall Theatre. «Mais, ce soir-là, raconte Steve Nieve, Elvis a réalisé que sa voix de baryton était plus adaptée au rôle de l'odieux commissaire de police. C'est alors que Sting est entré en jeu.»
Après avoir écouté une maquette, le chanteur, intrigué, invite le compositeur et Muriel Teodori à Los Angeles. «Je serai votre Dionysos, mais vous ne me ferez pas monter sur scène avec un collant blanc!» leur dit-il en riant. En réalité, Sting prend l'affaire très au sérieux et répète assidûment ses duos avec Barbara Bonney. «Je me suis reconnu dans ce personnage qui ose subvertir les règles sociales, confie Sting. Je suis né dans un quartier ouvrier, près de Newcastle. Comme Dionysos, j'ai choisi d'abandonner mon existence formatée, celle d'un instituteur sans espoir, pour m'aventurer dans la musique.»
Sting et Robert Wyatt - qui joue son meilleur ami - chantent naturellement, sans imiter les techniques du lyrique. L'étonnant contraste entre leur timbre et celui des cantatrices est l'une des grandes audaces de cet opéra. «Lors de l'enregistrement, j'étais tétanisée, admet Barbara Bonney. Sting changeait son texte en direct, sans me prévenir. Ce fut l'expérience la plus excitante de ma vie.» On la croit volontiers.
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