C'était l'été dernier. De la visite rare. Une soirée unique. Elvis Costello à Wilfrid, avec Allen Toussaint, le patriarche souriant de La Nouvelle-Orléans, digne successeur du Prof Longhair aux ivoires, dépositaire de l'âme de la ville du jazz.
Avec les Crescent City Horns aussi. Ouragan de cuivres. Tous là à cause de Katrina. Envers et contre Katrina. «Après nous avoir donné le pire d'elle-même, Katrina va nous donner le meilleur... », disait Toussaint. Il disait vrai.
Costello était beau à voir, hargneux, investi d'une mission. Ses chansons avaient signé un nouveau bail, résonnaient autrement, y compris le répertoire des années punk, qui avait trouvé un futur méritant bataille. Neuf d'entre elles, réarrangées à sa demande par Toussaint, plongeaient dans la marmite de La Nouvelle-Orléans et
en ressortaient plus fortes, pleines de cuivres et de piano boogie, sans rien perdre de leur impulsion d'origine. Touchées par la grâce.
Toussaint aussi bénéficiait de l'occasion, radieux, trouvant à travers les ruines une brèche par laquelle sa musique, de nouveau, exultait au grand jour pour le plus grand nombre. Le "meilleur" de Katrina, c'est qu'on ne pouvait pas sortir de cette salle autrement que bouleversés, choqués, galvanisés. Plus vivants qu'avant.
Des trois heures et demie du spectacle, des 37 titres alignés comme au défilé du Mardi Gras, il reste ici 46 minutes d'émission. Moins l'enrobage — présentation par Marie-Christine Trottier, extraits d'une entrevue avec Costello —, ça laisse le temps de huit chansons. Toutes de Costello: c'est lui qui fait vendre, comprend-on. Sacré charcutage. C'est Toussaint qu'on renvoie à sa ville dévastée. Maudit formatage télé. Non, ce n'est pas mieux que rien: on a perdu au montage la raison d'être du spectacle. Sa démesure, sa générosité. Dommage.
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