Rock & Folk, March 1981

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La petite merveille blanche


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   Philippe Garnier

«Why d'you wanna be my friend / when I feel like a juggler runnin' outta hands?»

Pourquoi tient-on à être son ami alors que lui se fait l'impression d'être comme un jongleur à court de mains ? Bonne question, ça. Et je connais beaucoup de rameurs et ramiers de la chansonnette qui seraient prêts à en donner une, leur main droite, même, pour avoir ne serait-ce qu'une fois dans leur carrière écrit des paroles de cet acabit. Costello, lui, nous a sorti ça dans une de ses premières chansons (« Welcome To The Working Week »). Et il a continué. C'est une des raisons, je suppose. Une autre raison aussi, c'est que Costello n'est plus seulement ce personnage à la Jimmy Olson (ou serait-ce Clark Kent ?) qu'il nous présentait au début, ce binoclard chétif et revanchard qui le temps d'un disque ou d'un concert revêtait son spacesuit (en l'occurence des pantalons à la Jerry Lewis, un veston de chez Marks & Spencer et une Fender Jazz) pour régler ses comptes avec les méchants du monde entier : maisons de disques, sa femme, les femmes en général, les parents, le gouvernement, etc... L'effet était saisissant. Il ressemblait plus à un Eddie Cochran frappé de polio qu'à autre chose, mais l'image et la considérable qualité de ses chansons étaient grandement suffisantes pour en faire le Modèle de l'Année (77). Enfin, en 77 il y avait bien l'autre Pourri, mais on ne pouvait pas trop compter sur Genghis Khan pour chausser les grolles de QUI QUE CE SOIT. Pour les maisons de disques, les fans et la radio, Costello semblait bien constituer le meilleur pari ; entre deux maux, celui-ci paraissait moins dangereux, plus digeste. Ce en quoi toutes les parties concernées se gouraient horriblement, mais ça il n'y avait pas trop moyen de savoir. Certes, Johnny Rotten est redevenu John Lydon et il poursuit sa démarche radicale au-dessus de tout soupçon, intransigeante et admirable ; mais, euh, loin du marché, disons... Declan McManus, lui, a gardé son nom d'emprunt (difficile de le blâmer pour ça) et s'est mis à étonner tout le monde par son incroyable prolixité, ses esclandres et la merveilleuse qualité de ses disques. Pire, il est indéniablement devenu celui que tout le monde attend au tournant; celui qui, pour le meilleur et pour le pire, assume à la fois le rôle que Dylan et les Beatles jouaient pour tout une génération. Je ne veux pas dire qu'il écrit ou chante comme eux, et je ne voudrais surtout pas l'ensevelir sous des comparaisons commodes et vaseuses, mais le fait est qu'il n'y a pas grand-monde, en ce moment, qui opère sur une telle échelle ; et surtout très peu de chanteurs dont les chansons peuvent supporter d'être épluchées une à une sans pour autant crouler sous le ridicule ou la pesanteur. Et en plus j'ai l'intime conviction que beaucoup de jeunes personnes s'esquintent actuellement les oreilles et se ruinent l'entendement au fond de leurs chambrettes à essayer de déchiffrer ce que susurre ou éructe l'animal dans ses chansons. Je veux dire, il se pourrait que beaucoup de monde apprenne l'anglais à cause de lui, tout comme Dylan a servi de Webster et de Méthode Berlitz à un tas de gens comme moi. Et comme les paroles du Petit Maître ne sont pas exactement évidentes-évidentes, ils apprécieront peut-être un discret coup de main.


CLOWNTIME IS OVER

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En choisissant son nom, il a pris celui d'un roi et celui d'un clown. Ironie, dérision peut-être. Costello, c'est la moitié d'un duo de comiques hollywoodiens ; c'est aussi le nom d'un petit chef mafioso habitué à jouer des coudes, Frank Costello. Et Elvis a un peu de tout ça : lui et son manager Jake Riviera (blase qui ne sonne pas exactement comme un extrait de naissance non plus, d'ailleurs...) sont assez connus pour leurs méthodes de gorilles et leurs façons pas toujours très appréciées de disposer des photographes et de la presse en général. Et si Costello déteste la presse, la presse le lui rend bien généralement. Les échauffourées ne se comptent plus. Et quand une certaine Bonnie Bramlett s'en est allée moucharder au sujet du fameux épisode de Columbus, Ohio, toute la presse s'est fait un plaisir d'amplifier ce qui n'était après tout qu'une conversation d'ivrognes, ou au mieux un concours d'injures. L'incident a fait couler trop d'encre pour qu'on le répète en détails (cf. R & F n° 161). Notons seulement que les pisse-copie se sont bien gardés de rapporter les autres injures échangées dans le bar du Holiday Inn. L'infâme Elvis a peut-être traité James Brown d'« uppity nigger » et Ray Charles de nègro ignorant pour faire chier toute une bande de has-beens qui ont passé leur triste carrière à singer la musique noire, mais il a aussi traité Steve Stills de « Nez-de-Fer », par exemple (ce que je trouve assez bien trouvé), et la Bramlett ne s'est pas gênée pour traiter tous les angliches d'« impuissants » (ce que je trouve d'une platitude navrante mais somme toute caractéristique). Enfin. Inutile d'en faire un plat. Comme dit Costello avec son habituel et étonnant talent pour trouver les points sensibles : « Bramlett a déjà tiré tout ce qu'elle a pu de son association avec un E.C:, qu'elle ne compte pas sur moi pour faire la même chose... »

Mieux que ça, Costello en a tiré une bonne chanson qui mêle l'insolence à quelque chose de plus profond, de plus attachant aussi : « When the heat gets subtropical / and the talk gets so topical / You can read me the riot act... » Et plus loin : « Pourquoi toutes ces stupides idioties / Alors que j'aurais l'esprit plus en repos / Au lieu de toute cette insolence bête, mais bête / Donnez-moi encore plutôt l'amnésie (...) Maintenant on va dire que je me fous / De la couleur sous laquelle cette histoire me peint / Essayer de tout le temps jouer les durs / Est assez dur comme ça / Me faites pas rigoler / A me faire la leçon / M'en faites pas tout un plat / Alors que vos remarques sont bien à la légère. » Et pour ces dernières lignes, on devrait m'envoyer entre les pattes de la Goon Squad ; mais comment traduisez-vous quelque chose d'aussi malin que « Don't put your heart out on your sleeve / When your remarks are off the cuff » ? Pas exactement une histoire de manchettes...

Et pourtant, l'épisode a fait la une. On a même été jusqu'à interviewer Ross McManus à Liverpool ; et l'ancien chanteur de jazz et trompettiste du Joe Loss Orchestra (en Angleterre, on imagine un peu ce que cela veut dire) de déclarer farouchement : « Elvis n'est pas raciste ; il n'a pas été élevé comme ça ! » Bien sûr que non, Mr McManus. Mais la plaisanterie n'est pas sans rappeler l'époque où on allait jusqu'à faire enregistrer des « Beatles novelty tunes » à Freddy Lennon (jamais eu le douteux plaisir d'entendre l'atroce et sentencieux « Next Time You Feel Important » ? Un B-side sur Jerden Records qui vaut son pesant de cruelle ironie... C'est Lennon Senior qui méritait les balles...). Il est également bon de rappeler qu'à l'époque de leur succès et de leur service actif, avant d'avoir définitivement rejoint le Calendrier des Saints, les Beatles étaient constamment en butte aux coups vaches de Fleet Street. Ils n'étaient pas les seuls, bien sûr, mais ce que je veux dire c'est que la hargne journalistique, ou cet amour/haine qui se développe entre la presse et les artistes trop importants pour être ignorés mais trop arrogants pour être épargnés, toutes ces réactions indiquent généralement que l'artiste en question fait quelque chose de vital — sur le moment, du moins.

Ce qui ne veut pas dire que Costello et consorts ne se soient pas conduits comme une bande de Huns pendant une grande partie de la Tournée Armed Forces. Après tout, la troupe se déplaçait dans un bus arborant « CAMP LE JEUNE » sur ses flancs, et à plus d'un titre Costello, Riviera et Cie ont fait plus de ravages qu'une compagnie de Marines durant cette tournée américaine, s'aliénant à la fois les stations de radio, les promoteurs, parfois le public et toujours bien sûr les journalistes. Parfois les outrages étaient concertés et géniaux ; parfois ils étaient seulement stupides et un effet de la personnalité nettement coincée du grand fautif. Mais une chose est sûre, c'est que dès le début Costello a été certain de pouvoir se permettre ce genre de corde raide, pour une simple raison qu'il explique dans « Red Shoes » sur un petit air de triomphe et de sweet revenge : « Oh, I used to be disgusted/ And now I try to be amused / But since their wings have got rusted / You know, the angels wanna wear my red shoes » (« Oh, avant ça me dégoûtait / Et maintenant j'essaie de trouver ça drôle / Mais depuis qu'ils ont les ailes rouillées / Eh bien les anges ils veulent porter mes chaussons rouges »). Inutile, je suppose, d'épiloguer sur qui sont ces anges. Rust never sleeps.

Et comme s'il était besoin de rendre les choses encore plus claires, Costello prend la peine de nous asséner cette dernière déclaration d'intention — à un stade de sa carrière où il peut véritablement être fier de lui. C'est sur son dernier album, « Get Happy », et cela s'intitule « Clowntime Is Over » : Clowntime is over / Time to take over / While others just talk and talk / Somebody's watching where the others don't walk /... / While ev'rybody's hiding under covers / WHO'S MAKING LOVER'S LANE / SAFE AGAIN FOR LOVERS ? (« Terminé les clowneries / Il est temps de prendre les choses en main / Pendant que les autres ne font que de parler / Quelqu'un s'occupe de là où les autres ne s'aventurent pas... Pendant que tout le monde se cache sous les couvertures / C'est grâce à qui si les amoureux / Peuvent de nouveau se sentir tranquilles dans leur coin ? ») Qui donc, on se le demande. Et qui sont les clowns ? Ça, on préfère ne pas se le demander. Le plus beau c'est que Costello a une énorme dette envers tout un passé musical ; et ce n'est que récemment qu'il s'est mis à l'admettre avec une bonne volonté relative. Il y a évidemment les Brinsleys, les vieux pères du pub-rock et toute la grande Synthèse Américaine (l'ultime coup de chapeau viendra quand Costello sortira un simple sous le nom de Nick Lowe, l'auteur de ce bon cheval de bataille qui a fait longtemps partie du répertoire de Brinsley Schwarz, « What's So Funny 'bout Love And Understanding ? »). Mais il y a aussi le tonnerre de la merseybeat : « Get Happy » contient une ronflante reprise d'un obscur B-side des Merseybeats, justement. L'année dernière Costello et les Attractions en avaient fait un des sommets de leurs concerts : « I Stand Accused ». Et, bien sûr, la filière soul et country, qui sera amplement illustrée dans ce qui va suivre. Mais à ses débuts, et malgré son nom d’emprunt, Elvis insistait pour n’être le fils de personne. Blame it on Cain.

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LIP SERVICE (is all you’ll ever get from me)
La prolixité et le débit de Costello ne sont rien moins que prodigieux. D’après les dires de Bruce Thomas, le bassiste des Attractions qui partage sa chambre avec lui en tournée, Costello est un insomniaque invétéré qui passe ses nuits à écrire. Nick Lowe déclare souvent d’un air désabusé qu’Elvis " a des centaines de chansons en réserve, mais moi je ne garde que les hits, enfin, que ceux qui me paraissent pouvoir devenir des hits ." Bien sûr, le nombre affolant de disques sortis par Costello est autant le résultat de sa créativité galopante que de la fantaisie des deux charlatans notoires, Lauder et Riviera, les deux joyeux drilles qui ont présidé successivement aux destinées de Stiff, Radar, et à présent F-Beat, et dont les pratiques décidément lapinistes risqueraient de pousser le collectionneur sérieux soit un suicide, soit à l’homicide, si cette engence n’était pas si masochiste pour commencer. On compte à ce jour pas moins de cinq albums, dix simples, deux EPs, un maxi-EP, quatre simples gratuits, un album en public de promo (le fameux « Live At The Mocambo »), plus les innombrables bootlegs et la récente compilation de B-sides et autres perles introuvables sortie par CBS-USA. Sans compter non plus toutes les galettes qui se chevauchent, partiellement ou non. Depuis la sortie de «Taking Liberties », peu de plages restent rares ou introuvables. En tout cas pas indispensables (seuls les incurables feraient des pieds et des mains pour des choses comme «Neat Neat Neat » ou les deux chansons live du Stiff Tour). Il y a quelque chose de beaucoup plus utile, par contre: c’est le fameux double-bootleg sorti il y a deux ans, «50 000 000 Elvis Fans Can’t Be Wrong »,surtout pour le premier disque qui contient les démos Radar et quelques-unes des premières répétitions avec les Attractions enregistrées sur un 4-pistes quelque part en Cornouailles. L’équivalent des « Basement Tapes », si on veut... Ce qui pourrait évidemment paraître d’une inconséquence et trivialité monumentales (tout est relatif), mais il n’est tout de même pas inintéressant d’entendre Costello chanter seul avec sa guitare des choses comme « Hoover Factory » (version différente de celle figurant au dos du récent « Clubland ») ou « You Belong To Me », ou encore l’entendre éructer «Mystery Dance» avec pour tout accompagnement une... batterie. Pas inintéressant, parce que c’est justement ça qu’ont dû entendre tous les A & R et autres gros pleins de soupe des maisons de disques de Londres en 1976, quand McManus-pas-encore-Costello défilait devant eux et poussait la goualante debout devant leur bureau. A entendre ces petits joyaux pop on ne peut que conclure qu’ils avaient décidément des oreilles en zinc, tant le potentiel des chansons saute à la figure. Signalons également au passage que, dès le début, Costello a été intensivement piraté, en Europe comme aux Etats-Unis, à un degré que seul Dylan et quelques autres semblent devoir dépasser.

Le rock n’a jamais été une affaire très sérieuse, et vraiment peu d’artistes méritent l’épluchage systématique dont on a bien voulu les honorer à une époque ou à une autre. C’était peut-être plus compréhensible au temps où le rock était une obsession plus maladive plus nombrilique, plus malsaine aussi. Mais à voir les charts ces temps-ci, on peut étre tranquille : qui irait faire de l'explication de texte quand AC/DC, Supercrampe, Blondie ou Police (meme péroxyde) règnent en petits maitres ? A coté de ca, évidemment, le talent de parolier et la versatilité de la Small White Wonder semblent tout bonnement renversants. Mais Elvis Costello est de taille à se mesurer à des monuments d'un tout autre acabit, comme les quelques lyrics cités dans cet article suffiront, j'espére, à le prouver.

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THEY THINK THAT I'VE GOT NO RESPECT, BUT EVERYTHING MEANS LESS THAN ZERO
Le premier simple chez Stiff (in reasonable stereo) nous montre Costello comme une espèce de matheux égaré. Pas encore de chaussures rouges, et certainement pas un «Radio Sweetheart». Cette dernière chanson est même carrément déconcertante. Rien ou presque ne semble la distinguer de ce qu'aurait pu faire un de ces cow-boys refoulés de Rockfield, si ce n'est l'introduction tout à fait saisissante: la guitare sèche — si sèche — et ces premiers mots glacants: «My head is spinning and my legs are weak/ Goose step dancing, can't hear myself think» (j'ai la tête qui tourne et les jambes qui flageolent / Peux plus m'entendre penser toute cette danse au pas de l'oie). Intro qui, incidemment, a été repiquée par (whatever happened to) Ricky Lee Jones au début de « Coolsville », note pour note. Ensuite arrive un glissando de basse à vous en faire dresser le poil, et puis le reste de l'orchestre attaque tout guilleret. Orchestration peu caractéristique, peut être, mais un signe des choses à venir... Mais quel genre d'Attila se pointe une chouette giclée de pedal-steel guitare dans sa première chanson ? «Less Than Zero» aurait dû nous remettre tout de suite sur les rails : c'est une chanson sur l'Angleterre, sur le racisme, le fascisme latent qui la minent ; une chanson baveuse, rageuse. Et personne n'a encore mieux décrit ce genre de rascisme, celui des amis de Mr Oswald qui s'amusent à « tondre un V -pour Vandale dans la tignasse du jeune fautif /Et quand il en aura assez, peut-être que vous la prendez au lit avec vous /Pour lui apprendre à vivre avant qu'il prie le ciel pour mourir». C'est une Angleterre où pour détourner l'attention des parents il suffit de «monter le son de la télé» et où tout équivaut à «moins que zéro». Costello devra attendre jusqu'à «Sunday's Best » pour donner un portrait de l'Angleterre de Thatcher qui enfonce celui-ci.

«My Aim Is True» est un bon album, mais comparé aux autres il fait presque figure de «démo» de luxe. Les chansons sont excellente pour la plupart, mais à part l'exquise guitare brodée sur «Red Shoes » le son est empâté. Costello ne décolle pas vraiment. Il n'y a qu'à comparer les chansons de cet album avec «Watching The Detectives», le premier simple de Costello avec les Attractions, pour comprendre ce que je veux dire. La gelée ne prend vraiment que sur des titres comme «Blame It On Cain» ou «Waiting For The End Of The World», où Clover et la Marin-County-Shuffle font merveille. Sur « My Aim Is True» le registre de Costello va du Chant du Puceau (la merveilleuse et hilarante exaspération de « Mystery Dance» au blues du cocu, maso s'il en est - comme dans «I'm Not Angry», où Costello écoute aux portes et étale un plaisir malsain dans l'abjection: «I hear the stutter of ignition» Ca l'echauffe, d'entendre la femme qu'il aime tirer sur le starter… Il se justifie: Spent all my time in a vanity factory » (pour nourrir sa femme Mary et son fils Mark, Costello a travaillé comme grouillot d'ordinateur chez Elizabeth Arden), et la pensée de sa femme prenant son pied dans les bras d'un autre le rend fou : « I got this camera click click clickin' in my head / I got you talking with your hands / Got you smiling with your legs» (j'ai cet appareil photo qui fait clic clic clic dans ma tête / Je te prends en train de avec tes mains/ En train de sourir avec les jambes). Et si vous croyez que le type est à enfermer, goûtez donc un peu du cynisme tuant de « Pay It Back »: I love you more than anything in the world / I don't expect that it will last» (Je t'aime plus que tout au monde / Je ne m'attends pas a ce que ca dure…)

Mai le vrai nougat, c'est encore sur «Waiting For The End Of The World» qu'on le trouve. C'est véritablement son «Subterranean Homesick Blues ». L'imagerie est dylanesque au possible, mais ce qui est plus important c'est qu'elle n'a rien à lui envier: « The legendary hitch-hiker says he knows where it's at / Now he'd like to go to Spain, or something like that/ With his two-tone Bible and his funny cigarettes / His suntan lotion and his castanets» La bible deux-tons, la lotion solaire et lest castagnettes; n'en jetez plus. Mais il en jette encore, avec une cruauté dans les mots qui égale facilement Qui-Vous-Savez : « Vous les verrez peut-être se noyer en vous promenant sur la plage/ Mais leur jetez surtout pas la bouée de sauvetage d'étre sûr qu'ils soient hors de portée… » C'est une histoire de terreur et de terrorisme. Une rame de métro. Une panne de courant. Un détournement. Et un refrain tuant : «Dear Lord, I sincerely hope you're coming/ 'cause you really started something» (Seigneur, j'espère sincèrement que vous allez revenir sur terre / Parce que vous avez vraiment déclenché quelque chose).

Entre un mariage «on the rocks» et une liaison peu probable avec Bebe Buell, des relations publiques à controverses et des retours de flamme assurés, les Attractions sont réellement ce qui est arrivé de mieux à Costello. Dès «Watching The Detectives» le simple qui suit le premier album, la différence se fait sentir de manière ahurissante. Costello s'est déniché un groupe, un vrai. Un groupe assez bon pour qu'il ne se contente pas de citer les noms de ses membres comme autant d'accompagnateurs: sur les pochettes, ils seront désormais Steve, Elvis, Bruce and Pete. A côté de ces mecs, Elvis n'a aucun complexe à avoir: les Attractions sont décidément de drôles de serins. Pete Thomas est une grande tringle qui tient la batterie comme un maçon jongleur. Bruce Thomas est la boutonneux lunettes — bassiste. Et Steve Naive est le beau ténébreux des claviers — Costello et le son du groupe lui devront beaucoup, et de plus en plus. Je possède six versions différentes de «Watching The Detectives» depuis le squelette pop chantonné par Elvis au-dessus de sa guitare en passant par les premières orchestrations jusqu'aux concerts enregistrés en 77 et 78, et à écouter toutes ces versions on réalise à quel point les Attractions ont libéré Costello; l'ont décoincé, si on veut… Le morceau est devenu la clé de voûte de tous leurs concerts, ce qui est normal, vu le côté monumental de cette chanson. Depuis l'intro et la guitare à la James Bond, jusqu'aux paroles impressionnistes atroces, en passant par le furieux skanking du milieu. Jusque très récemment ma version préférée était eIle enregistrée au fameux concert de Hollywood High qui figure sur le simple accompagnant «Armed Forces»- Jusqu'à ce dernier concert il y a quelques semaines au Los Angeles Sports Arena... On raconte que la musique s'inspire d'un morceau de Don Covey, «It's Better To Have» mais les multiples inventions et improvisations de Costello et Naive en font quelque chose à part. «Love is here for a visit / They call it instant justice / When it's past the legal limit. » Résultat inévitable: «Elle se fait les ongles pendant qu'ils draguent le lac. » Une phrase impérissable qui résume tous ces films à la télé ; ou tous ces romans de Chandler.

EVERY TIME I PHONE YOU/I JUST WANT TO PUT YOU DOWN
«This Year's Model» est peut-être l'album de Costello le plus réussi; ou du moins le plus digeste. Il est peut-être plus facile de s'attacher à des chansons personnelles qu'à des réquisitoires, aussi spirituels soient-ils. Et Costello n'est jamais meilleur que quand il en chie (encore un). Elvis trimballe toujours son fatras de jalousie (plus ou moins maso), mais cette fois-ci ce sentiment donne naissance à des chansons presque classiques. Pure pop. Pure haine. Seul Dylan dans sa période féconde a été plus méchant par les mots :

«I'm not a telephone junkie. / If I'm inserting my coin I'm doin' just fine/ And the things in my head start hurtin' in my mind / I think about the way things used to be / Knowing you with him is driving me crazy …» Ou dans «Hand In Hand », ou il décrit une scene de ménage : «You sit and you wonder whether it's gonna be syndicated» (tu restes piquée là en te demandent s'ils vont en faire un feuilleton). Puis il s'adresse à elle: « Tu sais donc que je je suis un animal? Tu sais donc pas que je peux plus encaisser? Mais tu ne peux me montrer aucune espèce d'enfer que je connaisse déjà. » Parfois la rage et la méchanceté l'étouffent et il commet ses rares faux-pas, comme dans sa diatribe contre les journalistes «Lip Service » (déguisée en complainte d'amant blessé et revanchard): «Fais pas comme si t'etais au-dessus de moi / Regarde seulement les chaussures. » Mais ce coup-ci il étend au haine aussi aux maisons de disques et au show-business. Si «Lip Service » est un coup-bas dans les reins de la presse, «Living In Paradise » et «Radio Radio » sont des attaques directes contre «la main qui le nourrit. » Et à ce sujet, il ne se fait aucune illusion : «Et vous cherchez déjà un autre idiot comme moi.. » Ce qui effectivement pourrait servir de maxime (ou d'épitaphe ?) à l'Industrie.

Mais il n'y a pas que la méchanceté. Une certaine compassion raguese perce sous l'armure. Par exemple, Costello prend la défense de This Year's Girl, la lauréate du concours de beauté ensevelie sous un déluge de marchandises inutiles. (« those disco synthesizers / those daily tranquilizers / those body-building prizes / those bedroom alibis» ) tout ça , mais pas de surprise, pour la Reine de l'Année. « The Beat» est aussi une chanson à double tranchant sur le «métier » : « Il faut être deux pour ce chamailler / Il faut être deux pour le tango/ Parle plus fort, marmonne pas / Si tu veux faire partie du combo, » «Little Triggers» est un chef-d'œuvre. Costello a son style à lui, et il creuse sa mine et il vise juste presque à tous les coups. Et c'est la première fois que le démon de la Mersey le taquine ; il lorgne déjà du côté des anges : témoin, la musique magnifique, sa majesté aussi — sans parler du drumming à la Ringo et de la fausse fin à la Beatles (plus nette sur la version en public).

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En fait, toute la musique sur cet album est supérieure. Il reste encore «Lipstick Vogue »avec ces deux lignes ambivalentes : « Sometimes I almost feel / Like a human being. » Mais il nous reassure tout de suite : « Sometimes I think that love is just a tumor », ce qui est plus près du but, dans son cas. Reste aussi «Pump It Up » un des morceaux qu'ils font le mieux sur scène — généralement en rappel — ce qui est assez ironique vu que la thème a été inspiré à Elvis par sa lassitude et sa désillusion à la fin du Stiff Tour — une tournée qui ne l'a pas rendu heureux (ni ceux qui avaient le malheur d'être autour de lui). A la fin de chaque concert les participants se réunissaient tous sur scène pour chanter « Sex And Drugs And Rock 'n' Roll» (l'objet de la tournée était de pousser Ian Dury), et malgré l'ironie de la chanson c'était exactement ça : tous les soirs «Pump It Up» est une chanson sur le destin qui attend tout rocker ou musicien, se laisser embringuer dans des tournées à n'en plus finir, et finalement ne plus y croire, pomper ça machinalement. C'est arrivé à Elvis Costello bien plus d'une fois.

Une de mes chansons favorites de cette période, c'est «Tiny Steps» qui figure au dos de «Radio Radio». Costello donne ici toute sa mesure de parolier en nous taquinant jusqu'au bout avec un brio et un humour bunueliens — à tel point qu'on ne sait jamais vraiment à qui appartiennent ces «petits pas» : «Qu'est-ce que c'est que ça au fond du jardin ? Qu'est-ce c'est que sous le sofa ? … Tiny Steps almost real./ Tiny fingers you almost feel / Make her walk or make her kneel...» La faire promener, lui faire faire le beau? Un chien ? Une poupée ? Une femme ? Une... chaussure? (« Allez, prends-en sur létagere" / T'as beau dire que c'est une honte, / Tu te dois toi-même ») Boudiou ! Un fétichiste ? This year's model?

OH, I JUST DON'T KNOW WHERE TO BEGIN
Il ne pas par quoi commencer: c'est ainsi qu'il ouvre son troisiéme album, «Armed Forces», E c'est vraiment I 'impression qu'il donne a l'epoque: il craque et déborde de partout. A tel point que Costello sortira toute une succession de simples en un temps record. Il passe le plus clair de son temps en Amérique (pas tres Clair) et participe des projets surprenants, mais compréhensibles pour qui l'a un peu suivi : il est invite a chanter sur l'album marquant le retour de son héros George Jones au service actif après une longue période marquee par le alcoolisme et finalement la banqueroute. Quand Elvis arrive au studio pour faire ses voix sur «Stranger In The House» il trouve à coté d 'u n fauteuil vide : Jones est malade. Ce n'est que quelques mois plus tard, de passage à L.A. qu'Elvis pourra réaliser son rève: à son fameux concert au Palomino. Jones viendra le rejoindre pour un morceau ou deux. Avec la benediction du fantôme de Gram Parsons. En fait, Palomino ou pas, le nom de Parsons vient a l'esprit quand on entend «Stranger In The House» (sur le simple gratuit) ; rarement jeune prosélyte a autant tapé dans le mille : que ce soit la voix de merlan frit du King ou son talent inné pour trouver le ton juste dans cette histoie larmoyante, «Stranger» est une chanson country parfaitement accomplie ; et ce n’est qu’un coup d’essai. On imagine aisément Parsons nasillant « this never was one of the great romances », ou, plus loin, « and I look down for a number on my key chain / ’cause it feels like a hotel ev'ry day ».

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Costello participe aussi à un film, « Americathon », en compagnie de Meatloaf, une histoire de téléthon pour sauver les USA de la faillite. Un sujet propre à attirer Costello, évidemment. Le film a jusqu’à présent disparu corps et bien dans les affres de la post-production. Et la chanson qu’Elvis avait réservée pour le soundtrack reste inédite, une irrévérencieuse comptine intitulée « Crawling To The USA» . Costello et les Attractions durent se contenter de faire deux vidéo-promos dans lesquelles ils purent faire les singes tout leur soûl sur une ile déserte, à la « Help » ou « Hard Day’s Night ». Avec «Armed Forces », Costello monte encore un échelon: il se fait plus général, justement. Et s’il n’attaque pas seulement les gouvernements, l’armée et autres institutions, si des chansons comme « Accidents », « Chemistry Class » ou «Busy Bodies » commentent les relations entre les gens, il s’agit plus d’un démontage, d’un déminage du cloaque de l’amour et des rapports humains. Il s’agit plus de ce qu’il avait un moment songé à appeler « Emotional Fascism ». Les audaces ne se comptent plus dans ce disque. Depuis le design de la pochette et les contributions Bazooka (innovations devant lesquelles les cadres américains de CBS craqueront complètement, au point de changer la pochette en une « chose » plus sage, moins lisible encore, et définitivement chicken-shit) jusqu’au son énorme et brouillon capturé par l’irrépressible Nick Lowe, tout ressemble à ces éléphants chargeant sur la pochette. Dès la première chanson Elvis atteint le sommet: il y a dans « Accidents Will Happen » des moments si brillants qu’ils méritent d’étre cités même s’ils sont intraduisibles, comme le dylanesque «your mind is made up/but your mouth is undone», et aussi cet instant où l’on surprend Costello dans toute son humanité ( «sometimes I almost feel like a human being» ), quand il crie d’une voix à fendre l’âme: «And it’s the damage that we do and never know/It’s the words that we don’t say that scare me so » (et ce sont les dommages qu’on fait sans le savoir/Ce sont les mots qu'on ne dit pas qui me font le plus peur). « Senior Service » est une petite perle enjouée et meurtrière, Elvis sifflant ses S d’une voix teigneuse: « If you should drop dead tonight! Then they won’t have to ask you twice. » Costello jongle périlleusement avec ses parallèles, jusqu’au bout: Senior Service c’est bien sûr la Marine de Sa Majesté, mais c’est aussi une fameuse marque de cigarettes («it’s a breath you took too late/c’est une mort encore pire que le destin»). « Oliver’s Army » c’est son grand opus contre l’Armée et la conscription (ou plutôt l’engagement, puisqu’il s’agit de l’Angleterre, où les jeunes sont poussés à s’engager parles impératifs économiques plus que par des feuilles de route). C’est sur l’Angleterre de Thatcher, et Costello ne donne pas dan l’ambiguïté cette fois-ci: Je préfererais etre n’importe où qu’ici aujourd’hui. » En entendant « Big Boys », « Moods For Moderns » ou « Party Girl », on ne peut que s’émerveiller des arrangements constamment inventifs et imprévisibles, des structures pour le moins peu orthodoxes ; un peu comme à cette époque féconde où une chanson des Beatles en contenait deux ou trois à l’état embryonnaire. Est-ce que les Attractions veulent nous dire quelque chose en citant «Abbey Road» et «I Want You» à la fin de «Party Girl» (aussi la basse à la Paulo, et l’intro)?

La voix de Costello n’a jamais été aussi forte que sur cet album, comme lorsqu’il susurre, par exemple, “You got a chemistry class/ I want a piece of your M-I-I-ND”, ou nous serine comme un joli-cœur “Are you REA-DY for the final soLU-TION, ooh” … Je veux dire, c’est evidemment une voix à laquelle il faut se faire; mais c’est tout aussi évidemment une voix originale dont on ne peut plus se passer. Une fois tatoué… Et Elvis n’a rien perdu de sa morgue non-plus bien sur. Dans «Goon Squad» il éructe avec tant de sauvagerie qu’il gerbe plus qu’il ne chante: Il y en a qui grandissent tout comme leur papa et d’autres qui ne grandissent jamais (...) En tout cas moi vous pouvez toujours repasser pour me transformer en abat-jour.” Et quand dans «Two Little Hitlers» il proclame “I will return”, pile c’est Hitler, face c’est MacArthur; “I will not burn/down in the basement”... est-ce qu’il parle du bunker ou de la cave de Big Pink? Quant a «Sunday’s Best», c’est un portrait de l’Angleterre actuelle d’une férocité précise, calculée, froide. Tout, y passe, au rythme énervant d’une valse bancale. Elvis meets Bertolt Brecht (tout comme il frayait avec Orwell et Kafka sur l’excellent “Green Shirt”). Mais les Américains de CBS jugerent bon de remplacer «Sunday’s Best» par «What’s So Funny». Ils ont sans doute eu raison. Combien d'Américains supporteraient cette valse couinante sur un charnier sans morts, et combien comprendraient la volatilité dévastatrice mais mesurée comme un petit pas de grand-mere contenue dans des mots comme “major roads and ladies smalls/heart of oak and long trunk calls” (les petites affaires de femmes et les appels longue-distance ne sont pas exactement de la luzerne a hit-parade).

Durant toute cette période. Elvis et sa bande s’efforcent de renforcer leurs réputations d’iconoclastes et d’affreux jojos, provoquant une véritable levée de boucliers en Amérique vers la fin de la tournée. Elvis empiète sur toutes les règles. Depuis le outrageuse photo annonçant son disque (où on le voit en train d’avaler un fusil de guerre) jusqu'à ses propos insultants sur scène, il ne fait rien pour se faire aimer. Mais comme il l’avait lui-même prédit dès le début, les critiques et les pundits le haïssent mais ne peuvent pas le laisser tomber. Ils n’en ont jamais assez. Parce que Costello continue de produire comme un clown lance des confettis. Et tout ce qui nous arrive aux oreilles est étonnant. Et les critiques sont obligés de ravaler leurs glaires et leur hargne. Juste avant «Armed Forces», Elvis et Riviera avaient sorti un simple qui fut distribué gratuitement aux heureux spectateurs d’un concert de Noël. Disque qui devint instantanément l’objet le plus cher du désir collectionneur. Sur un fond de joyeux barbouillage “modern Pollock”, on peut voir le Quatre Garçons faire les fous et se gaver de chocolat. Les photos sont prises à Liverpool, dont une sur la passerelle du ferry qui traverse la Mersey pour aller a Birkenhead (je l’ai tout de suite reconnue pour avoir passé plusieurs heures d’un ennui mortel sur cette même passerelle pour satisfaire l'intégrité artistique d’un certain Ventura qui me filmait en train de raconter je ne sais trop quoi à Don Kent pour un émission de télé sur Liverpool. Les Attractions ont l’air de rigoler plus.) Les deux chansons de ce disque sont importantes surtout comme indication d’une chose qui a arriver avec «Armed Forces” et «Get Happy”: la musique de Costello s’en va dans tous les sens et fait péter toutes les coutures, pour en arriver au baroque hybride de “Ghost Train” ou “Just A Memory” et de tout le EP qui suivra la sortie de «Get Happy» («Dr Luther’s Assistant» fait presque figure de «Revolver» dans la production de Costello avec sa folie furieuse incontrôlée, sans parler des sitars ou effets similaires à la fin du morceau). «Talking In The Dark» fait songer aux Kinks, période jabots; la musique est déjà «English Baroque» avec trompettes à la Beatles et caisse claire à la Mike Avory. Quant a «Wednesday Week», ce n’est peut-être pas du Elvis grand millésime, mais on y trouve cette même exubérance anarchique, cette même explosion: après le fouillis frénétique et l’orgue réjouissant de Steve Naive sur les trois quarts du morceau. Elvis se lance dans une ballade hésitante et méandreuse, comme s’il avait changé d’avis.

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant qu’il soit revenu après une longue absence due essentiellement aux magouilles entre Riviera, Radar et WEA - avec un album contenant dix chansons sur chaque face «Get Happy» est un réel triomphe. Le disque d'un homme presque saoul devant ses possibilités ; et pour la première fois on perçoit un homme joyeux derrière les masques et les grimaces: pas encore réconcilié, mais trop plein en lui-même et de sa musique pour s’adonner encore aux règlements de comptes (sauf pour l’anecdotique «Riot Act» dont j’ai amplement parlé plus haut - mais ca il ne pouvait pas s'empêcher; pouvait pas les rater!).

Grâce au nombre des morceaux, Elvis peut s’adonner tout son soul (ah ah) a ses plaisirs favoris: que ce soient les jeux de mots ou sa façon de mener à bien une imagerie précise tout au long d’une chanson (comme le jargon légal et financier de «Love For Tender», par exemple - “Non, non, tu ne mettras pas mon amour en adjudication…”) ou encore ce talent lapidaire pour exprimer tout un petit drame en trois lignes, comme dans «Secondary Modern» quand il chante merveilleusement ces paroles aigres-douces: “Is it out of the question / between you and me / It is pleasure or business? / Or a paquet of three?” (est-ce que c’est vraiment hors de question entre toi et moi? Plaisir ou affaire? Ou un paquet de capotes?). En fait. Costello partage cette facilité du thème et des variations sur un mot avec les plus grands, qu’il s’agisse du Dylan de la période speed ou des grands sorciers de Tin Pan Alley, (Costello a plus d’une fois prouvé son attachement a ce genre de composition, d’abord en s’adonnant aux climats de piano-bar dans des chansons comme «Just A Memory» ou «Temptation», mais aussi en allant jusqu'à susurrer sa propre version du classique de Rodgers & Heart, «My Funny Valentine» - distribué gratuitement a l’origine lors d’un concert de la Saint Valentin à Long Beach. Sur vinyle rouge.)

A part «King Horse», j’adore tous les morceaux de «Get Happy», et il serait impossible de detailler tous les plaisirs caches entre les sillons. Que ce soit un rocker dur comme l’ongle comme nous en balancaient les Beatles a une epoque («Five Gears In Reverse») ou ses chansons cathartiques sur la jalousie («Man Called Uncle») ou le voyeurism et la masturbation («Black And White World»).

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Et comme toujours Costello ne peut pas réprimer tout à fait l’insolence et s’empâcher de mordre la main qui le nourrit: «J’ai découvert l’Amérique, elle se cachait dans un coin de mon portefeuille», rigole-t-il dans «B Movie». Et pour le ritual morceau country, Elvis nous chante un truc à faire chialer les ménagères et les routiers initulé «Motel Matches» ; et il faut peut-être être familiar avec la vide et la tristesse des motels américains pour apprécier la mélancolie de cette chanson, mais une chose est sûre : Tom T. Hall n’a jamais écrit une ligne meilleure que «Though your mind is full of love/ In your eyes there is a vacancy/And you know what I’ll do/When the light outside changes/From red to blue». On en voit même le néon solitaire indiquant COMPLET.

Mais comme l’indique le style de la pochette, «Get Happy» est aussi un fabuleux disque de danse qui puise beaucoup dans l’idiome Stax/Volt et la soul music dans ses rythmes les plus furieux. Il y a la frénésie de «Beaten To The Punch» (un original, mais aussi un coup de chapeau à Smokey Robinson via Mary Wells ?), l’harmonica qui sonne comme une section de cuivres sur «I Stand Accused» (et on sait de quoi s’inspirait principalement le Mersey Sound…). Il y a aussi bien sûr, la reprise incroyable que les Attractions font d’un vieux truc de Sam and Dave, «Can’t Stand Up For Falling Down». Sans parler du «Getting Mighty Crowded» de Van McCoy, sorti sur maxi-EP dans le sillage de «Get Happy». Dans le cafouillage des sorties et des échauffourées contractuelles, les dernières chansons risquent de passer à l’as pour un bon nombre d’entre vous : il y a eu «Girl’s Talk» derrière le simple contenant «Can’t Stand Up» (étonnant que la Ronstadt ait le nerf de chanter quelque chose comme «though you may not be an old-fashioned girl/You’re still going to be dated» - mais Ronstadt reste le beurre dans les épinards d’Elvis, même s’il qualifie ses efforts de «gâchis de vinyle»). Mais l’objet à ne pas rater c’est le EP contenant «New Amsterdam», «Dr Luther’s Assistant», «Ghost Train» et surtout le merveilleux «Just A Memory». Dans «New Amsterdam», Costello se permet un petit saut sentimental dans le passé («thinking about the old days of Liverpool and Rotherhide, repensant aux gens transparents qui vivent de l’autre bord/ qui vivent une vie presque comme un suicide»). Le «Métro Fantôme» concerne ceux qui débutent dans le showbiz et qui tirent les sonnettes; «but we only want the pretty ones», chante Elvis. Visiblement il en a encore gros sur la patate et n’a pas fini de savourer le plat froid de la vengeance. Mais c’est encore «Just A Memory» qui se détache du lot. C’est me favorite – en ce moment, du moins. Et aussi une indication que l’animal a encore plus d’un tour dans son sac et risque encore de nous surprendre avec son nouvel album, qui incidemment s’inutile «Trust» ; est-ce pour cela que CBS rechigne à distribuer l’album en France, des fois qu’on confonde ? D’abord on a l’impression que «Just A Memory» est enregistrée sur scène – ce qui est tout à fait possible, vu qu’en ce moment Elvis ouvre tous ses concerts avec. Orgue et piano majestueux, et puis tout d’un coup cette VOIX, «layin’ about lying in bed…» Méconnaissable, comme celle d’un crooner transi. La mélodie est d’une joliesse presque insupportable, mais c’est le genre de truc qui vous entre sous la peau. Naïve n’en peut plus avec ses cascades d’orgue et de piano, il se prend pour Liberace (ou Elton John?). Et puis arrive le refrain, et Elvis se met à appeler «Memories, don’t mean that much to me», et les Attractions répondent «memories» en écho, comme une bande de foutus Tyroliens de charme. Et si j’ai l’air de me moquer comme ça, c’est que cette putain de chanson me colle la chair de poule à chaque fois. C’est une chanson d’amour d’une finalité et d’une tristesse insondables. Le mec dit à la fille que c’est inutile d’insister; il ne le fait pas méchamment, au contraire, mais les mots coupent comme une lame parce qu’ils sont trop vrais, comme quand il lui dit que «les moments dont je ne me souviens plus sont justement ceux que tu chéris le plus». Et on n’a jamais rien dit de si vrai et de si glaçant sur les relations entre hommes et femmes. «Te perdre n’est déjà plus qu’un souvenir/ Et pour moi les souvenirs ne veulent pas dire grand-chose.»

Pour son dernier simple «Clubland », Elvis semble revenir sur le chemin du Graal, à savoir décrocher la timbale au hit-parade (à part ses respectables ventes d’albums et «Radio Radio », Costello n’a jamais eu de hit) et ainsi craquer le coffre-fort de L’Amerique. Et si les disk-jockeys et programmateurs de radio ne se compalaisaient pas tant dans la merde, ce serait partie gagnée d’avance: «Clubland » contient plus de «hooks » et acroche-cœurs en 3 mn 40 de musique qu’il n’en faudrait pour satisfaire normalement un juke-box. Depuis la mélodie qui ne vous lâche pas les basques une seconde jusqu’aux arpèges argentins de Naïve pendant le pont, «Clubland » est un nanan auriculaire de bout en bout. Comme l’a déjà dit Elvis dans une autre chanson, «it takes two to tango », et ici on s’aperçoit à quel point les Attractions sont devenus importants, surtout Steve Naïve dont les claviers prȇtent des colorations différentes à presque chaque morceau. Par contraste, les deux morceaux au dos du simple ne semblent pas bénéficier d’une telle maturité: on pourrait mȇme avancer que dans «Clean Money» Costello se cannibalise (on retrouve des tas de bouts d’autres chansons, comme «checking on a checkmate, grassing on a classmate », ou encore «but they won’t take my love to tender» si on ne se souvaient pas que cette chanson et «Hoover Factory » datent des sessions de «This Year’s Model ».
SOMETIMES I ALMOST FEEL/JUST LIKE A HUMAN BEING
Costello a peut-ȇtre changé son fusil d’épaule (mȇme si ça reste un fusil!) et changé de ton aussi. Allez savoir. En tout cas c’est ce qu’on aurait pu penser après le concert triumphal qu’il a donné à L.A. il y a quelques semaines. Elvis a violé à peu près toutes les règles du manuel : accueilli par une incroyable ovation par treize mille personnes, il a enterpris de chanter « Just A Memory » tout seul sur scène, comme un torero de charme dans l’arène. Et au bout de quelques secondes il avait les treize milles personnes dans sa main. Déjà connu pour se payer le culot de jouer des chansons pas encore très familières dans ses concerts, il s’est payé à le luxe de faire cinq ou six titres qui n’étaient encore apparus sur aucun disque dans aucun pays. Des chansons de «Trust» , sans doute. Et comme pour faire oublier le personage ronchon et déplaisant qu’il avait été lors du désastreux concert au Civic en 77, ou le pro un tout petit peu trop CAREFUL de celui de Long Beach un an plus tard, Elvis s’est montré charmant toute la soirée, allant même jusqu’à daigner respire un grand coup et d’un air ravi le bouquet de roses qu’on lui a tendu durant «Accidents», allant même jusqu’à parler au public et le remercier de son appréciation ! Et tandis qu’Elvis et les Attractions faisaient coruler la baraque avec des choses comme «The Beat», «Clowntime», «Imposter», «Big Tears» ou «Clubland», ou encore tenaient le public en haleine en donnant des avant-premières de chansons comme (titres sous reserves) «White Knuckles», «From A Whisper To A Scream», ou «Shot With His Own Gun », on ne pouvait s’empêcher de noter à quel point Elvis et son groupe faisaient un : il n’y a pas de seconde guitare, et toute la folie, toute la fantaisie doit passer par les arrangements. D’où l’absence d’à-peu-près dans leurs sets. Comme d’habitude c’est Steve Naïve qui liait la sauce, et le son était littéralement trempé de claviers. Les surprises abondaient aussi : une superbe adaptation d’un vieux succès de Patsy Cline datant de 62, «She’s Got You » (Patsy Cline est la chanteuse jouée par Beverly d’Angelo dans «Fille de Mineur», celle qui aide et encourage Loretta / Sissy Spacek dans sa carrière – Elvis chante évidemment «He’s Got You»), et un rocker effréné en rappel avec l’aide d’un membre de Squeeze, qui faisait la première partie («Please Don’t Let Me Wait Too Long»?).

Mais la plus grande surprise, du moins pour le public angeleno habitué à ne pas en espérer autant, c’est qu’ils ne sont pas revenus pour un rappel, mais pour TROIS. Durant «Alison», la foule réagissait presque comme un public country de honky-tonk. Et au beau milieu du furieux skanking de «Watching The Detectives», Elvis s’est lance dans «Master Blaster», le nouveau simple de Stevie Wonder, et les choses devinrent plus chaudes qu’en juillet, les claviers de Naïve fournissant une approximation assez réjouissante d’une partie de cuivres à la Stax\Volt. Ils ont enfoncé le clou avec «I Can’t Stand Up», et sont revenus une troisième fois nous asséner «Pump It Up». A San Francisco Costello avait également sidéré le public du Warfield en faisant une version de (vous n’allez pas le croire…) «Little Sister». Le King est mort, vive le King, etc… Mais ce soir-là au Sports Arena Elvis n’avait franchement pas besoin de boucler la boucle ou de nous mettre le point sur le i (de King). Plus tard, après son concert, notre insomniaque notoire est même allé se mêler aux fêtards du Starwood et du Whisky a Gogo, attrapant au vol des bouts de sets des Blasters, de nos néo-surfers Jon and the Nightriders, pour finir avec le dernier set des Plimsouls. A regular man-about-town, Elvis. Et le consensus cette nuit-là peut être résumé par cette réflexion entendue à la sortie du concert : «J’ai toujours aimé sa musique, maintenant je suis content de pouvoir aimer le bonhomme aussi.»
PHILIPPE GARNIER (Los Angeles, Janvier 81) Toutes paroles PLANGENT VISIONS MUSIC LTD. and STREET MUSIC LTD


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Rock & Folk, No. 170, March 1981


Philippe Garnier profiles Elvis Costello.


F.G. sounds off about F-Beat's lack of a distribution deal in France.

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Et nous?


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  F.G.

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Scandale & Frustration ! Rage & Incrédulité ! Que je vous explique : la merveille du mois ne se trouve pas dans la rubrique Disques sur trois colonnes avec épithètes et exégèse et tout. Je parle du nouvel album d'Elvis Costello, qui s'intitule « Trust « (oui, je sais, ça fait drôle au début). Sortie en Angleterre tout ce qu'il y a de plus normale, sur F-Beat Records. L'absurdité vient de ce que le sus-nommé label n'a de contrat de distribution avec AUCUNE maison de disques en France. Si « Get Happy », le précédent, était paru chez CBS, c'est que la négociation se fait au coup par coup, le contrat n'étant pas renouvelé par la suite. De même que pour le récent LP de Rockpile, CBS s'est complètement désintéressé (pour des raisons non connues) du cas F-Beat, ou l'inverse. Et pour l'heure, aucune autre compagnie n'est sérieusement sur l'affaire. Et il faut que cela frappe les meilleurs ! Parce que faute de critique extensive, j'aimerais vous toucher un mot de « Trust », qui, aux premières écoutes, avant d'en découvrir tous les trésors, offre un compromis plus que réjouissant entre la munificence contenue du sous-estimé « Armed Forces » et l'intensité touffue du mésestimé « Get Happy » ; avec ces petites pièces intimes et magistrales capables de ravages émotionnels sans pareils. En quatorze pop songs insidieuses, Costello trouve moyen d'encore enrichir sa vision — unique — et notre passion. Joie & exaspération. Il serait lamentable que tout le monde ne puisse en profiter, il est indispensable que la situation soit débloquée. Ceci est un appel pressant. —


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