Rock Sound, April 1994: Difference between revisions

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'''Il y a belle lurette maintenant que Costello n'est plus au centre de l'actualité musicale, et que même la polémique de rigueur il y a quelques années (génie ou faiseur surdoué) n'a plus cours. Les costellodingues le resteront de toute façon jusqu'au dernier jour, traquant dans les allées sombres des conventions le moindre inédit. Pour les autres, la question rituelle semble être de savoir à partir de quel disque ils ont laissé tomber. Pendant ce temps, lui continue tranquillement d'expérimenter, d'élargir encore sa palette.
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Il y a belle lurette maintenant que Costello n'est plus au centre de l'actualité musicale, et que même la polémique de rigueur il y a quelques années (génie ou faiseur surdoué) n'a plus cours. Les costellodingues le resteront de toute façon jusqu'au dernier jour, traquant dans les allées sombres des conventions le moindre inédit. Pour les autres, la question rituelle semble être de savoir à partir de quel disque ils ont laissé tomber. Pendant ce temps, lui continue tranquillement d'expérimenter, d'élargir encore sa palette.
L'année dernière, il l'a un peu trop élargie au goût de certains, s'offrant comme royal jouet le Brodsky Quartet — ça devait bien finir par arriver — pour un ''Juliet Letters'' mal foutu, où le quatuor à cordes et la voix s'annulaient mutuellement, comme deux pistes qui ne se rejoignent jamais. Après ça, qu'est-ce qu'il pouvait bien lui rester à faire{{nb}}? Un disque de folklore belge{{nb}}? De hard-rock{{nb}}? De grunge-musette{{nb}}? Il en serait bien capable, on sait assez sa peur de se répéter, et pour autant qu'on sache, il aurait tort de s'en priver. Levi-Strauss, à qui on demandait une définition de l'intelligence répondait après réflexion : "C'est peut-être de réussir à ne pas s'ennuyer", réponse inédite et pas si tordue que ça finalement, à laquelle Costello pourrait sûrement souscrire. Et intelligent, tout le monde sait qu'il l'est, c'est même un argument vicelard de ses détracteurs, mais c'est parfois nous qu'il avait fini par ennuyer. Syndrome de celui qui s'installe dans la durée{{nb}}? Période de purgatoire comme d'autre "vieux" — Neil Young, Dylan, Van Morrison — avant retour de crédibilité{{nb}}? Lui seul sait ce que sera son prochain disque, mais, le mois dernier, un ''Brutal Youth'' inattendu est venu nous rappeler qu'il pouvait être bien autre chose qu'une encyclopédie musicale sur pattes, et par la même occasion qu'il avait été longtemps une des meilleurs choses qui soient arrivées à la musique populaire.  


<!-- Les Sex Pistols et Costello -->
Pour symboliser la fureur qui s'est emparée de l'Angleterre à la fin des 70's, deux noms feraient assez bien l'affaire : les Sex Pistols et Costello, deux revers d'une même médaille, deux façons de donner l'assaut aux hypnotiseurs pré-Balladuriens qui persistaient à squatter les charts, le punk et le pub-rock. Deux entreprises de démolition, l'un pour son propre compte, en vue si possible de reconstruction, les autres en vue de rien du tout, méticuleusement appliqués à faire table rase de tout, du passé comme du futur, l'ivresse de la négativité absolue (et la gueule de bois des 80's, Joy Division et Cure en tête). Mais si la musique des uns a toujours la même force — plus radical, on ne voit toujours pas — le projet (ou son absence) paraît avec le recul terriblement enserré dans son époque, tandis que ''This Year's Model'' n'a pas pris une ride. Il est plus facile d'adhérer à cette espèce de catalogue de frustrations contemporaines, ce règlement de comptes planétaires — l'image d'un animal qui se débat pour sortir d'un gigantesque piège — qu'à tous les ''"I am an antichrist"'' ou ''"We're pretty vacant"'' aux allures de slogans téléguidés par Malcolm McLaren. Le venin des Pistols était dans l'attitude, celui de Costello dans les chansons.


Pourtant, les choses commencent plutôt mal en 1977, pour les blancs-becs pré-pubères que nous étions : quand les Pistols, Damned et autres Adverts posaient leurs bombes, reléguant l'idée même d'une mélodie à l'état de vieille légende d'un monde révolu, lui déposait un petit pétard à mèche ridicule, une farce, dégoulinant de refrains, de choeurs, de blues, et par-dessus tout de relents de ce rockabilly honni ("Mystery Dance"). Qu'est ce qu'on pouvait bien avoir à faire d'un type comme ça{{nb}}? Et même si ''My Aim Is True'' est devenu attachant pour d'autres raisons, il n'a pas le tranchant des deux premiers Graham Parker, son collègue de promotion pub-rock. Mais les critiques s'extasièrent devant ce trublion teigneux et vindicatif, devant son don de parolier peu commun et son goût des Dylanneries absconses et tortueuses. Il y en eut même pour penser qu'il ne ferait jamais mieux que ce coup d'essai, ce qui ne manque pas de piment au vu de l'impressionnante suite. D'une façon ou d'une autre, c'est peu de dire que personne n'était préparé à ce qui allait suivre. A d'autres l'écueil du deuxième disque. Et du troisième, du quatrième etc.
<!-- L'alchimie miraculeuse -->
A partir de ''This Year's Model'', avec l'alchimie miraculeuse de son nouveau groupe, les Attractions (ne pas les oublier ceux-là), ça devient l'histoire invraisemblable et agaçante d'un type qui non seulement n'avait pas brûlé ses dernières cartouches mais faisait encore et toujours mieux, n'alignant que des grands disques, brillant dans tous les registres et débarquant toujours là où on ne l'attend pas. En tordant le cou au passage à quelques idées bien ancrées et faisant figure d'exception sur pas mal de points. A commencer par la qualité et l'intensité constantes de cette pléthore qui sem-blait un véritable affront à quelques lois élémentaires, celle par exemple qui érige le doute en vertu et tient l'échec pour quelque chose comme l'honneur de l'homme. Par sa facilité apparente, il offrait l'image d'un créateur qui avait complètement oublié de passer par la case "sacrifice". Et ses (nombreux) détracteurs de le considérer vite fait avec suspicion, comme un genre de Sollers des studios, qui sait tout sur tout et donc rien sur rien de particulier, scintillant à l'extérieur, creux à l'intérieur. Comme si lui n'avait pas eu ses affres (sur "Hand in Hand", ''"you can't show me any kind of hell that I don't know already"'').
<!-- Les angoisses combatives -->
Mais voilà, il ne faisait pas dans la neurasthénie, il avait les angoisses combatives, c'est le moins qu'on puisse dire, et tous ses démons, toute sa culpabilité ("Ce sont la revanche et la culpabilité qui me poussent à chanter"), qui auraient poussé celui-là à biaiser, condamné celui-ci au silence, il les enferma tout à trac dans ses chansons. Le "sublime renoncement" n'a jamais été son fort, et comme quelques autres talents polymorphes, il embrassa tout le spectre de l'humain, de l'ombre à la lumière, sans faire le tri, le nez dans l'urgence sans un centimètre de recul. Un tel débordement de vitalité aurait bien excusé quelque scories : il n'y en eut quasiment pas.
Des premières années cathartiques, bilieuses, comme s'il voulait se persuader de la haine de tous pour mieux haïr en retour, placées sous le signe de l'excès tous azimuts, du trop plein qui s'incarnait comme il pouvait : vindicte, verbosité flirtant souvent avec un sens de la formule trop parfait pour être vrai, rebrousse-poil (''Almost Blue'' pur Nashville, produit par Billy Sherrill, le monsieur plus des roucoulades violoneuses, la même année que ''Faith'' et ''Closer'', cherchez l'intrus), baroque enfin avec le splendide ''Imperial Bedroom''. En passant par la pop nerveuse de ''Armed Forces'', la claque rythm'n'blues de ''Get Happy!'', que, toujours blagueur, il voulait intituler ''Emotional Fascism'' (dommage qu'il ne l'ait pas fait) et le très sousestimé ''Trust'', pour arriver à ''Punch the Clock'' qui inaugure sa seconde manière, en espèce de routine de laborantin pop, substituant l'artisanat à l'urgence, loin de la mythologie rock qu'il a toujours abhorrée, avec une seule morale : faire de bonnes chansons. Et ses disques deviennent prévisibles — un comble venant de lui — et frustrants : peu de mauvaises chansons, et pourtant on reste de marbre. Comme une belle maison dont on n'aurait pas la clé. Objectivement, même ses disques les moins réussis, ''Goodbye Cruel World'', ''Spike'', ''Juliet letters'', auraient été encensés s'ils avaient été commis par un nouveau venu. Mais c'était lui, et si on avait un peu décroché, c'est aussi parce que le contraire aurait été étonnant : à une époque, disons, rapide, tenir tout le monde en haleine pendant six ans, à se demander ce qu'il allait bien pouvoir sortir de son chapeau, n'aura pas été un mince exploit.
Et puis, il y a d'autres raisons. A partir de ''Punch the Clock'', il y aura désormais deux catégories d'auditeurs : ceux pour qui il était devenu le père Noël, sans question, et ceux qui l'attendaient au tournant avec l'envie de laisser tomber, soulagés, au moindre faux-pas. "Soulagés" parce que l'aimer n'était pas simple, et que le moindre des paradoxes avec lui ne fut pas d'avoir été longtemps passionnant, vital, alors même que quelque chose dans sa musique interdisait qu'on entretienne avec elle un rapport passionnel. Dans le rock, l'innocence (ou à défaut la bêtise), est un ingrédient indispensable, et lui semblait en avoir fait son deuil depuis longtemps. Ses premiers disques en manquent agressivement. C'est peut-être un élément d'explication, mais ce n'est qu'une des contractions qu'inspire le bonhomme. On veut parler de lui, prétendre en parler, ce qui suppose un minimum d'empathie ou au contraire de rejet, et on s'aperçoit que ce qu'il inspire est moins manichéen et se situe quelque part entre les deux. Un des rares à faire cet effet tant il est vrai que le sens de la nuance n'est pas toujours le fort de l'amateur de musique. On voudrait dire à quel point certains de ses disques ont compté et continuent de le faire, et on découvre en le formulant que l'enthousiasme a toujours été tempéré, surtout parce qu'il participe plus de l'admiration que de la séduction.
Quant à l'homme biographique, il est protéiforme, caméléon, difficile à cerner. On est sur le point de renoncer à en parler quand on comprend que toute cette ambivalence est précisément le coeur du sujet. On reconnaît Costello à la première note, à sa voix, mais pour avoir une forte personnalité, il n'en a pas vraiment un style propre : difficile d'imaginer un groupe chez qui on pourrait déceler sans hésiter son influence, comme chez d'autres celle du Velvet, des Smiths ou qui vous voulez. Mais cette absence de style, si elle fait sa faiblesse pour des raisons évidentes, fait aussi sa force : à l'heure où Big Star, le Velvet et quelques autres deviennent des classiques, c'est-à-dire en substance des gens que tout le monde connaît mais que personne n'écoute, lui demeure un cas résolument à part, un point d'interrogation, réductible à rien, à aucune image, aucune catégorie, aucun genre musical, ce qui, ironiquement, n'est pas la moindre trace qu'il aura laissée.


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Elvis Costello: Bons baisers d'albion


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   Yves Bongarçon

On le croyait calmé, assagi, plus concerné. Pire, blessé. Non Madame. Elvis est bel et bien là, fidèle au poste. Bon pied, bon oeil. Et pas content, comme d'hab'. La sortie du bois s'agrémente cette fois encore d'un album, le séminal Brutal Youth, où Declan Patrick Aloysius compte ses amis et ses fidèles en même temps qu'il remet son ouvrage (période Get Happy) sur le métier. Gilet tricoté main (Cait ?), grosse veste de clergyman, chemise boutonnée jusqu'au col, sourire narquois, aigreur chevillée à l'âme, MacManus parle de ce qui l'intéresse, ironise quand l'envie lui en prend et envoie chier la critique. En pleine forme, quoi.

Seize ans de carrière, quinze albums, n'est-ce pas trop ?

Non, pourquoi ? C'est mon boulot d'écrire des chansons et de les interpréter. Je suis comme tous les gens qui vont au boulot tous les jours, c'est tout. Et moi, il faut que je travaille tous les jours... Quand j'ai commencé, les disques sortaient plus souvent, on écoutait un nouveau truc tous les six mois. Moi, j'aimerais en sortir un toutes les six semaines, il y aurait ainsi moins de tension ou de dramatisation, ce serait un événement normal, un peu comme un journal... D'autant que j'écris beaucoup de chansons, je n'aurais aucun problème pour produire dans le rythme... Mais disons que ce n'est pas une obsession, c'est seulement ce que je fais : mon boulot, et ça reste un plaisir, c'est bien comme cela.

Le business musical semble obsédé aujourd'hui par les qualités d'enregistrements...

Je me fiche de ça, d'ailleurs je me fiche du business. Il n'a rien à voir avec la musique. Quant à mes enregistrements, ils sont exactement ce que je veux qu'ils soient, avec le son que je veux, sans m'occuper de ce que disent les autres. Parfois, c'est volontairement que je livre un son moins travaillé que ce qu'il pourrait être parce que c'est l'effet sonore que je voulais obtenir. De plus, si tous les disques avaient le même son et la même atmosphère, ce serait plutôt rasoir, non ?

Avez-vous des regrets concernant certains de vos albums ?

De temps en temps, oui... Je regrette certains moments, peu nombreux en fait, parce qu'ils sont moins bons ou parce que j'en espérais mieux... Mais d'un autre côté, ils reflètent ce que j'étais capable de faire de mieux à un certain moment. Je sais bien qu'il y a des imperfections ou des erreurs, mais j'ai appris de ces moments-là aussi. Et les chansons évoluent en ce sens que, selon les jours, on apprécie tel morceau et le lendemain un autre, selon l'humeur...

Votre premier disque s'appelait My Aim Is True. Quel était votre but justement à cette époque ?

C'était juste un titre, pas une déclaration philosophique... mon objectif — plutôt que mon but — à l'époque, était de faire un disque, parce que j'attendais ça depuis pas mal de temps. Je n'avais aucune idée précise de carrière, savoir si ça durerait un an ou cinquante ans... Maintenant, je crois que j'irai jusque vers cent deux ou cent trois ans, puis je commencerai à ralentir un peu (sourire)...

Et comment analysez-vous votre carrière ?

Je ne le fais pas... C'est ça le hic avec ce genre de questions... Ce n'est pas mon boulot d'analyser ce que je fais, plutôt celui des journalistes ou du public. Le faire moi-même ne m'apporterait rien, je connais "mon oeuvre" puisque je l'ai écrite... Et il n'y a rien d'ambigu dans mes chansons. Bien sûr, je pourrais peut-être ressentir certaines choses différemment ou moins apprécier une chanson qu'au moment de sa composition, parce qu'on change, mais le futur m'intéresse beaucoup plus que l'analyse de mon propre passé. Je sais que certaines personnes s'analysent... Moi, je suis plus tenté par la nouveauté, même si c'est à partir de mélanges, d'éléments déjà rencontrés musicalement. On peut construire des chansons, ou entrer dans un monde différent, comme je l'ai fait avec les Juliet Letters, et, là aussi, on est relié à la musique avec son passé.

Et que pensez-vous alors de toutes ces analyses des journalistes sur vos albums, vos compositions, votre carrière ?

Je ne les lis pas toujours... D'abord, je ne peux lire que l'anglais et un petit peu d'italien, donc je n'ai vraiment aucune idée de ce que beaucoup de gens ont écrit sur moi. Et là encore, ce n'est pas mon travail, je ne suis pas journaliste, et je ne lis des articles qu'occasionnellement. Je suis en revanche plus intéressé par les réactions émotionnelles des gens à ma musique, mais très peu de ce que j'ai pu lire, sur moi ou sur d'autres musiciens, correspond à cette émotion que procure la musique. Le plupart des critiques semblent écrire dans le cadre d'une théorie politique ou culturelle, mais pas comme une personne sensible face à des sons ; c'est plutôt désobligeant, même pour le public, car je sais que les gens peuvent avoir une variété de réactions à ma musique. Ainsi,

On a l'impression que depuis quinze ans, vous avez tenté de visiter, musicalement, chaque recoin de ce qu'on pourrait appeler globalement la musique pop...

Oui, c'est sans doute ce que j'ai fait, mais c'est un processus naturel, je suis curieux de différentes musiques à tous niveaux, Par exemple j'ai toujours aimé la country music, mais il m'a fallu du temps, jusqu'à Almost Blue, pour que ce goût soit assez fort pour me donner envie de faire un album de reprises; j'aurais pu facilement faire un album country avec mes propres compositions, mais à cette époque, je n'en avais pas envie. Vous savez, les motivations ne sont pas si complexes : ça n'a rien de mystérieux ou de psychologiquement caché... C'est surtout le plaisir de faire telle musique qui l'emporte à un moment donné... Et cette démarche naturelle est bien loin, parce que plus simple, de toutes les analyses qu'on peut faire (rire)... Et le fait que je travaille d'une façon qui peut paraître plus frénétique ou boulimique que certains n'est qu'une affaire de métabolisme : j'aime la musique, j'ai envie de profiter de sa diversité, et j'espère bien continuer...

Quelle profession indique votre passeport ?

Musicien.

Vous avez beaucoup écrit sur le sentiment de frustration. Considérez-vous la musique comme une forme de thérapie ?

Non, pas dans le sens moderne du mot... Mais la musique peut correspondre parfaitement à un moment d'émotion qui sera mieux supporté : par exemple, dans un moment de tristesse, écouter une chanson qui traite du même sentiment peut, bizarrement, vous sortir de cet état dépressif. C'est le cas du blues, de certains morceaux, même dans la pop music. Beaucoup de morceaux ont cette évidente connection avec un monde "spirituel" disons, sans être forcément religieux. Ce matin, j'écoutais du Beethoven ; je ne suis pas particulièrement religieux, mais cette musique est tellement inspirée par la foi qu'on sent cette inspiration "spirituelle", vitale et émouvante... En ce sens, la musique n'est pas thérapeutique, mais elle a ses effets d'accompagnement, d'émotion, de réconfort, et ce n'est pas toujours confortable ; la musique peut aussi en même temps nous secouer !

Certains musiciens utilisent la musique comme une auto-analyse...

Oui, moi-même, j'ai écrit des chansons très personnelles, mais ce n'est pas forcément fait dans un but d'analyse... Je ne suis pas particulièrement intéressé par moi-même ou l'introspection... Cela a plus à voir avec le fait de tirer de sa propre expérience la matière d'une chanson sincère. mais qui apporte une élaboration musicale... sinon il vaudrait autant chanter son journal intime (rires) !

Comment conciliez-vous cette émotion brute que vous revendiquez et la sophistication grandissante de votre musique ?

D'abord, je ne crois pas que ma musique soit sophistiquée... Peut-être l'est-elle en comparaison de pas mal de productions pop, mais... (silence) Non, je ne suis pas d'accord du tout, ma musique n'est pas sophistiquée. D'ailleurs, même la musique la plus simple peut apporter une émotion qui traduit des sentiments complexes... Par exemple, prenez une chanson comme "I'm So Lonesome I Could Cry" de Hank Williams : elle exprime un sentiment très sophistiqué, mais dit d'une manière tellement simple — phrasé, musique, etc. — que ce n'est pas qu'une chanson triste sur le fait de se sentir seul et triste ! Elle est tout aussi sophistiquée que bien des chansons ou des pièces musicales modernes dites complexes... La différence est dans le média lui-même, et aussi le public qui s'intéresse à l'oeuvre...

Dans les années 1977 à 1982, vous aviez la réputation d'être une personne en colère ; étaitce un engagement social ou politique ?

Je crois que cette colère, on l'a en soi... En même temps, je crois que je ne n'étais pas seulement et nécessairement que cela... Cette envie, on l'a parce qu'on éprouve des sentiments passionnés, avec des vues simples et déterminées... et sans doute aussi un sens de l'agressivité dans certaines chansons. Mais définir ces chansons par la colère seulement est totalement faux et réducteur ! S'il n'y avait eu qu'une seule émotion exprimée, le disque aurait été plutôt insupportable (rire)... Disons que la colère a été, parmi les émotions exprimées, celle dont on a le plus parlé...

Quelle part votre musique puise-t-elle selon vous, dans vos racines celtiques ?

Je ne crois pas qu'il y en ait une... Mon arrière grand-père était certes irlandais et je vis en Irlande aujourd'hui, mais je ne vois pas en quoi cela marquerait ma musique plus que d'autres éléments de ma vie... A-t-on un penchant et des dispositions naturels pour la musique en Irlande ? (rire)... Croire qu'un pourcentage de sang de telle sorte donne un don pour la poésie serait d'un ridicule ! (rire)... Sinon personne ne travaillerait chez nous, et tout le pays chanterait à longueur de journée (rire)...

Beaucoup de vos chansons sont traversées par votre sens de l'humour...

Oui, et sans doute est-ce moins facile à saisir en France à cause de la langue... C'est impossible de démonter le mécanisme de l'humour, sinon ça ne fonctionne plus. Il y a différentes façons de l'exprimer : certaines blagues te secouent et te font pisser de rire, d'autres apportent juste la petite lumière qui fait que la vie est un peu plus supportable. Et dans les chansons, c'est difficile, parce que quand on a entendu la blague une ou deux fois, on se lasse... Mon humour se trouve aussi dans des chansons comme "My Science Fiction Twin", où à l'évidence, le côté fantasque l'emporte sur la réalité, ce qui crée un petit décalage, et si on loupe cela, la chanson peut paraître plutôt mystérieuse ! (rires). Certains morceaux sont plus ouvertement humoristiques, comme "This is hell" sur cet album ou "God's Comic" sur Spike, mais l'humour se perd dans les traductions, inévitablement...

Certains de vos albums ont été ignorés des médias chez nous, comme Almost Blue ou Goodbye Cruel World, et même Spike ou King of America. Or, avec le recul, l'importance de ces disques est évidente dans votre carrière. Savez-vous pourquoi les critiques les ont boudés ?

Je crois que ça prouve leur incroyable manque de goût et l'envergure de leur incompétence (rire)... que puis-je dire d'autre ?

Mais ces albums avaient un lien entre eux...

Oui !... Et vous savez quel lien ? Ces albums ont surtout eu en commun d'être presque totalement ignorés par les média en France (rires)...

Vous sembliez très concerné par l'évolution du rock 'n' roll dans les 80's, beaucoup moins maintenant, pourquoi ?

Je ne suis pas sûr de comprendre la question en relation avec ma propre musique... peut-être que je suis moins concerné par une seule forme de musique, parce qu'avec le temps, il y a plus de possibilités de diversification qui se sont présentées à moi. Mais je n'ai jamais été particulièrement obsédé par l'évolution du rock 'n' roll, d'ailleurs, c'est une forme musicale très limitée, et c'est ce qui en fait sa force en même temps. Mais il y a d'autres formes de création, d'autres apports possibles dans la rythmique ou l'instrumentation qui sont tout aussi intéressants, comme ce que j'ai essayé dans l'album Spike, mais il est vrai qu'en France vous ne l'avez pas remarqué (rires)... En tout cas, ce qui maintient la musique vivante, c'est l'essai de nouvelles sonorités... Mais le rock 'n' roll n'est pas quelque chose qui évolue en soi, ça c'est une invention du magazine Rolling Stone (rires)! C'est comme le Hall Of Fame : si on l'établit, il faut bien y mettre quelqu'un dedans, même quand on a attendu le moment où les gens sont reconnus par tous... quelle idée stupide

Considérez-vous votre album King of America, comme un tournant important dans votre carrière ?

D'une part, c'est un album plein de compassion, de générosité, et d'autre part, c'est le premier pour lequel j'ai travaillé avec beaucoup d'autres musiciens, il y avait donc des apports extérieurs, avec des structures de formes musicales déjà existantes, comme la country, le rhythm'n'blues, les ballades, le rockabilly, etc. On n'a pas cherché à créer de formes nouvelles. De même, quand j'ai fait Almost Blue, j'ai déjà dit que j'aurais pu écrire les chansons en adoptant la forme country tout en cherchant à m'exprimer ; pour King of America, j'en étais plus proche, ce n'est pas un truc pour me déguiser avec un chapeau de cowboy (rires), mais ça correspondait aux sentiments exprimés, la tendresse, les regrets, des émotions qui n'auraient pas correspondu à un rock 'n' roll hurlé... C'est parce que mes compositions sont, dans une inspiration qui peut être presque spontanée, choisies et élaborées de manière consciente.

On sait que vous êtes un proche de T-Bone Burnett, qui a produit "King of America". Que vous êtes-vous appor-té réciproquement ?

On a passé pas mal de temps sur la route et on a eu le temps de dis-cuter le fondement des chansons, ce que les gens appellent la motivation ou la psychologie d'un morceau. On a parlé plus que je ne l'ai fait avec aucun producteur, même pas Nick Lowe qui avait produit un de mes premiers albums... T Bone s'est attaché à l'expression et à l'idée très claire que j'avais de chaque chanson, même si lui ne la réalisait pas exactement, il avait confiance. Et avec T Bone, le côté musical était très simple, il s'agissait d'enregistrer les musiciens sans effets spéciaux, sans production envahissante... Donc, de donner un album très vrai, très direct, qui soit une image très proche de la performance réelle. L'album était plus concentré sur l'expression que sur les circonstances extérieures de sa réalisation.

On a été étonné quand vous avez collaboré avec Paul McCartney ; y avaitil une raison particulière ?

Je ne peux pas contrôler la façon dont les gens perçoivent la carrière de Paul aujourd'hui, et ça ne m'intéresse pas... La raison ? Simplement, on l'a fait, c'est tout, et je suis content car je pense qu'on a fait ensemble deux"ou trois chansons qui sont au moins aussi bonnes que les miennes ou les siennes... Et il n'était pas question de rivaliser avec celles qu'il a composées avec John Lennon ; c'était impossible, ce genre de combinaison n'arrive qu'une fois par vie, quand elle arrive ! Même si on sait aujourd'hui que beaucoup des dernières chansons n'étaient pas directement issues de cette collaboration, les circonstances du groupe étaient vraiment uniques... Pour moi, cette rencontre avec Paul est une occasion de plus de composer et penser différemment.

Vous aimez beaucoup les pseudonymes et les masques, The Imposter, Napoleon Dynamite, Emotionnal Toothpaste etc. Est-ce aussi une marque d'humour ?

Oui, je pense que oui. Les gens ont exagéré l'importance de tout cela ; là encore, il ne faut pas chercher de signification psychologique cachée ! Que penser de Count Basie, Duke Ellington, Johnny Rotten, etc.? Le showbiz a toujours été un monde de faux noms ou de jeux de mots... Et pour présenter quelque chose au public, "Elvis Costello" sonne bien, non ? Même si, parfois, on attache des clichés ou des attitudes au pseudo... Et je ne vois rien d'extraordinaire à prendre un faux nom pour sortir un album, ça secoue un peu les choses, et les gens ont à penser... Mais il n'y a rien de sombre ou de mystérieux làdessous...

En 1989, dans une interview, vous disiez ne pouvoir écrire que sur des sujets tristes et des épisodes dramatiques d'une vie, est-ce encore vrai ?

Je devais exagérer un peu ou avoir dit que ces sujets m'inspiraient plus... Quand on écrit sur soi ou les autres, les situations les plus impressionnantes sont souvent celles qui sont troublantes, dérangeantes, et pas souvent gaies... Encore que même la joie puisse parfois être déstabilisatrice à sa façon.

Qu'avez-vous ressenti face à la critique qui a peu apprécié Juliet Letters, vous reprochant de devenir "sérieux et intello" ?

Vraiment ? Je ne lis pas le français... Mais c'est fascinant ! (rire). Que dire ? D'abord, les critiques n'ont pas acheté l'album et n'ont même pas payé leur place au concert, alors... Quant à l'album, il s'en est déjà vendu un quart de million d'exemplaires, ce qui est considérable pour un disque de musique de chambre. Je n'ai pas de problème avec cette critique. Si elle a envie de démolir l'album, c'est son droit, mais ça n'est pas un gage de vérité pour autant...

Ce serait plutôt un faux procès d'infidélité au rock 'n' roll ?

Je ne sais pas... encore une fois je ne peux pas lire ces articles. Mais, et ce que vous me dites confirme les impressions de mes visites précédentes, l'ensemble de la critique me paraît à la fois faussé et limité dans son appréciation de la qualité en musique. De la même manière, et pour généraliser un peu, les Français pensent que si tu es en train de crever de la came, tu deviens intéressant ; ils trouvent même Jerry Lewis amusant ! Il y a bien sûr une culture française de qualité, mais à côté de cela, cette culture américaine qu'on semble apprécier ici est vraiment du domaine du mystère et de la farce pour le reste de l'Europe. Il faut en être conscient et s'en méfier. Et cette attitude générale se retrouve dans la manière d'aborder Juliet letters. C'est arrivé également en Angleterre, dans une certaine mesure : on m'a reproché d'être sorti de ma petite boîte ! Mais la vie est trop courte à mon goût pour ne pas avoir envie d'autre chose ! J'avais envie de le faire, de travailler avec les gens du quartet Brodski, sans autre prétention que de faire de la musique avec passion ; et ça, c'est notre droit, les critiques peuvent aller se faire mettre, ils n'empêcheront pas des centaines de milliers de personnes d'avoir partagé cette même envie; même si tous n'ont pas aimé le disque, au moins ils ont été concernés, ils ont essayé quelque chose... De même, la tournée mondiale a été un succès et l'atmosphère n'avait rien à voir avec celle que la critique croit voir autour de la musique classique, tout cela est faux ! Et si je conçois à la rigueur que l'album seul ait pu les déconcerter, le succès sur scène prouve que ces critiques n'ont rien compris ou rien perçu. Et de quel droit peuvent-ils prétendre déterminer ce que je dois faire, ce à quoi ils m'autorisent, etc. ? Quelle arrogance de leur part !

Brutal Youth marque-t-il la fin d'une certaine période d'introspection ?

Non, je ne fais pas ce genre d'analyse ou de décision. Pendant que j'écrivais, je pensais aussi à l'enregistrement. J'ai tenté de jouer de tous les instruments que je pouvais maîtriser, puis, en constatant mes limites, j'ai essayé de trouver les meilleurs musiciens pour le faire et il est apparu que c'étaient des gens avec qui j'avais travaillé avant, les Attractions et Nick Lowe. Et bien qu'ayant Mitchell Froom qui a coproduit, l'influence de ces musiciens a été déterminante. Cela n'a rien à voir avec un début ou une fin de phase artistique. A l'évidence, le son de cet album est différent des Juliet Letters ou des précédents. Mais c'est cette diversité que j'aime. Un de ces jours, j'en ferai peut-être un avec des sections de cuivres, ou un album réunissant des compositions que j'ai écrites pour d'autres artistes. Et même si Spike n'a pas été apprécié en France, je considère que c'est un bon album.

Etait-ce facile de retravailler avec les Attractions?

Oui, très facile. On ne s'était pas vu depuis plusieurs années, mais chacun apportait ainsi un peu de nouveauté, de son expérience. Pareil avec Nick Lowe qui tient la basse sur sept morceaux.

"Sulky girl" est évidemment le premier single...

Oui, et il est monté directement 22 dans les charts en Angleterre ! Je ne m'attendais pas à avoir un hit avec un single, parce que ce marché s'adresse plutôt aux jeunes, et je ne crois pas que les jeunes se sentent proches de moi, je n'ai jamais rien fait pour lés séduire, et j'aime l'âge que j'ai. En tout cas, aujourd'hui, on voit des gens de cinquante ans qui écoutent du rock 'n' roll, du Eric Clapton, de la musique intéressante en soi mais un peu "coffee table".

Vous allez tourner ?

Oui, on passe même à l'Olympia cet été, mais on tourne aux USA à partir du mois de mai avant de venir en Europe -Angleterre, Danemark, Pays-Bas, etc. Après, on verra si on a encore envie d'être ensemble ou pas; on s'arrêtera peut-être ou on fera un disque au Japon, je ne sais pas...

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Rock Sound, April 1994


Yves Bongarçon interviews Elvis Costello.


François Keen profiles Elvis Costello.

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Costello brievement


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   François Keen

Il y a belle lurette maintenant que Costello n'est plus au centre de l'actualité musicale, et que même la polémique de rigueur il y a quelques années (génie ou faiseur surdoué) n'a plus cours. Les costellodingues le resteront de toute façon jusqu'au dernier jour, traquant dans les allées sombres des conventions le moindre inédit. Pour les autres, la question rituelle semble être de savoir à partir de quel disque ils ont laissé tomber. Pendant ce temps, lui continue tranquillement d'expérimenter, d'élargir encore sa palette.

L'année dernière, il l'a un peu trop élargie au goût de certains, s'offrant comme royal jouet le Brodsky Quartet — ça devait bien finir par arriver — pour un Juliet Letters mal foutu, où le quatuor à cordes et la voix s'annulaient mutuellement, comme deux pistes qui ne se rejoignent jamais. Après ça, qu'est-ce qu'il pouvait bien lui rester à faire ? Un disque de folklore belge ? De hard-rock ? De grunge-musette ? Il en serait bien capable, on sait assez sa peur de se répéter, et pour autant qu'on sache, il aurait tort de s'en priver. Levi-Strauss, à qui on demandait une définition de l'intelligence répondait après réflexion : "C'est peut-être de réussir à ne pas s'ennuyer", réponse inédite et pas si tordue que ça finalement, à laquelle Costello pourrait sûrement souscrire. Et intelligent, tout le monde sait qu'il l'est, c'est même un argument vicelard de ses détracteurs, mais c'est parfois nous qu'il avait fini par ennuyer. Syndrome de celui qui s'installe dans la durée ? Période de purgatoire comme d'autre "vieux" — Neil Young, Dylan, Van Morrison — avant retour de crédibilité ? Lui seul sait ce que sera son prochain disque, mais, le mois dernier, un Brutal Youth inattendu est venu nous rappeler qu'il pouvait être bien autre chose qu'une encyclopédie musicale sur pattes, et par la même occasion qu'il avait été longtemps une des meilleurs choses qui soient arrivées à la musique populaire.

Pour symboliser la fureur qui s'est emparée de l'Angleterre à la fin des 70's, deux noms feraient assez bien l'affaire : les Sex Pistols et Costello, deux revers d'une même médaille, deux façons de donner l'assaut aux hypnotiseurs pré-Balladuriens qui persistaient à squatter les charts, le punk et le pub-rock. Deux entreprises de démolition, l'un pour son propre compte, en vue si possible de reconstruction, les autres en vue de rien du tout, méticuleusement appliqués à faire table rase de tout, du passé comme du futur, l'ivresse de la négativité absolue (et la gueule de bois des 80's, Joy Division et Cure en tête). Mais si la musique des uns a toujours la même force — plus radical, on ne voit toujours pas — le projet (ou son absence) paraît avec le recul terriblement enserré dans son époque, tandis que This Year's Model n'a pas pris une ride. Il est plus facile d'adhérer à cette espèce de catalogue de frustrations contemporaines, ce règlement de comptes planétaires — l'image d'un animal qui se débat pour sortir d'un gigantesque piège — qu'à tous les "I am an antichrist" ou "We're pretty vacant" aux allures de slogans téléguidés par Malcolm McLaren. Le venin des Pistols était dans l'attitude, celui de Costello dans les chansons.

Pourtant, les choses commencent plutôt mal en 1977, pour les blancs-becs pré-pubères que nous étions : quand les Pistols, Damned et autres Adverts posaient leurs bombes, reléguant l'idée même d'une mélodie à l'état de vieille légende d'un monde révolu, lui déposait un petit pétard à mèche ridicule, une farce, dégoulinant de refrains, de choeurs, de blues, et par-dessus tout de relents de ce rockabilly honni ("Mystery Dance"). Qu'est ce qu'on pouvait bien avoir à faire d'un type comme ça ? Et même si My Aim Is True est devenu attachant pour d'autres raisons, il n'a pas le tranchant des deux premiers Graham Parker, son collègue de promotion pub-rock. Mais les critiques s'extasièrent devant ce trublion teigneux et vindicatif, devant son don de parolier peu commun et son goût des Dylanneries absconses et tortueuses. Il y en eut même pour penser qu'il ne ferait jamais mieux que ce coup d'essai, ce qui ne manque pas de piment au vu de l'impressionnante suite. D'une façon ou d'une autre, c'est peu de dire que personne n'était préparé à ce qui allait suivre. A d'autres l'écueil du deuxième disque. Et du troisième, du quatrième etc.

A partir de This Year's Model, avec l'alchimie miraculeuse de son nouveau groupe, les Attractions (ne pas les oublier ceux-là), ça devient l'histoire invraisemblable et agaçante d'un type qui non seulement n'avait pas brûlé ses dernières cartouches mais faisait encore et toujours mieux, n'alignant que des grands disques, brillant dans tous les registres et débarquant toujours là où on ne l'attend pas. En tordant le cou au passage à quelques idées bien ancrées et faisant figure d'exception sur pas mal de points. A commencer par la qualité et l'intensité constantes de cette pléthore qui sem-blait un véritable affront à quelques lois élémentaires, celle par exemple qui érige le doute en vertu et tient l'échec pour quelque chose comme l'honneur de l'homme. Par sa facilité apparente, il offrait l'image d'un créateur qui avait complètement oublié de passer par la case "sacrifice". Et ses (nombreux) détracteurs de le considérer vite fait avec suspicion, comme un genre de Sollers des studios, qui sait tout sur tout et donc rien sur rien de particulier, scintillant à l'extérieur, creux à l'intérieur. Comme si lui n'avait pas eu ses affres (sur "Hand in Hand", "you can't show me any kind of hell that I don't know already").

Mais voilà, il ne faisait pas dans la neurasthénie, il avait les angoisses combatives, c'est le moins qu'on puisse dire, et tous ses démons, toute sa culpabilité ("Ce sont la revanche et la culpabilité qui me poussent à chanter"), qui auraient poussé celui-là à biaiser, condamné celui-ci au silence, il les enferma tout à trac dans ses chansons. Le "sublime renoncement" n'a jamais été son fort, et comme quelques autres talents polymorphes, il embrassa tout le spectre de l'humain, de l'ombre à la lumière, sans faire le tri, le nez dans l'urgence sans un centimètre de recul. Un tel débordement de vitalité aurait bien excusé quelque scories : il n'y en eut quasiment pas.

Des premières années cathartiques, bilieuses, comme s'il voulait se persuader de la haine de tous pour mieux haïr en retour, placées sous le signe de l'excès tous azimuts, du trop plein qui s'incarnait comme il pouvait : vindicte, verbosité flirtant souvent avec un sens de la formule trop parfait pour être vrai, rebrousse-poil (Almost Blue pur Nashville, produit par Billy Sherrill, le monsieur plus des roucoulades violoneuses, la même année que Faith et Closer, cherchez l'intrus), baroque enfin avec le splendide Imperial Bedroom. En passant par la pop nerveuse de Armed Forces, la claque rythm'n'blues de Get Happy!, que, toujours blagueur, il voulait intituler Emotional Fascism (dommage qu'il ne l'ait pas fait) et le très sousestimé Trust, pour arriver à Punch the Clock qui inaugure sa seconde manière, en espèce de routine de laborantin pop, substituant l'artisanat à l'urgence, loin de la mythologie rock qu'il a toujours abhorrée, avec une seule morale : faire de bonnes chansons. Et ses disques deviennent prévisibles — un comble venant de lui — et frustrants : peu de mauvaises chansons, et pourtant on reste de marbre. Comme une belle maison dont on n'aurait pas la clé. Objectivement, même ses disques les moins réussis, Goodbye Cruel World, Spike, Juliet letters, auraient été encensés s'ils avaient été commis par un nouveau venu. Mais c'était lui, et si on avait un peu décroché, c'est aussi parce que le contraire aurait été étonnant : à une époque, disons, rapide, tenir tout le monde en haleine pendant six ans, à se demander ce qu'il allait bien pouvoir sortir de son chapeau, n'aura pas été un mince exploit.

Et puis, il y a d'autres raisons. A partir de Punch the Clock, il y aura désormais deux catégories d'auditeurs : ceux pour qui il était devenu le père Noël, sans question, et ceux qui l'attendaient au tournant avec l'envie de laisser tomber, soulagés, au moindre faux-pas. "Soulagés" parce que l'aimer n'était pas simple, et que le moindre des paradoxes avec lui ne fut pas d'avoir été longtemps passionnant, vital, alors même que quelque chose dans sa musique interdisait qu'on entretienne avec elle un rapport passionnel. Dans le rock, l'innocence (ou à défaut la bêtise), est un ingrédient indispensable, et lui semblait en avoir fait son deuil depuis longtemps. Ses premiers disques en manquent agressivement. C'est peut-être un élément d'explication, mais ce n'est qu'une des contractions qu'inspire le bonhomme. On veut parler de lui, prétendre en parler, ce qui suppose un minimum d'empathie ou au contraire de rejet, et on s'aperçoit que ce qu'il inspire est moins manichéen et se situe quelque part entre les deux. Un des rares à faire cet effet tant il est vrai que le sens de la nuance n'est pas toujours le fort de l'amateur de musique. On voudrait dire à quel point certains de ses disques ont compté et continuent de le faire, et on découvre en le formulant que l'enthousiasme a toujours été tempéré, surtout parce qu'il participe plus de l'admiration que de la séduction.

Quant à l'homme biographique, il est protéiforme, caméléon, difficile à cerner. On est sur le point de renoncer à en parler quand on comprend que toute cette ambivalence est précisément le coeur du sujet. On reconnaît Costello à la première note, à sa voix, mais pour avoir une forte personnalité, il n'en a pas vraiment un style propre : difficile d'imaginer un groupe chez qui on pourrait déceler sans hésiter son influence, comme chez d'autres celle du Velvet, des Smiths ou qui vous voulez. Mais cette absence de style, si elle fait sa faiblesse pour des raisons évidentes, fait aussi sa force : à l'heure où Big Star, le Velvet et quelques autres deviennent des classiques, c'est-à-dire en substance des gens que tout le monde connaît mais que personne n'écoute, lui demeure un cas résolument à part, un point d'interrogation, réductible à rien, à aucune image, aucune catégorie, aucun genre musical, ce qui, ironiquement, n'est pas la moindre trace qu'il aura laissée.

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