Rock Sound, April 1994: Difference between revisions
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'''Il y a belle lurette maintenant que Costello n'est plus au centre de l'actualité musicale, et que même la polémique de rigueur il y a quelques années (génie ou faiseur surdoué) n'a plus cours. Les costellodingues le resteront de toute façon jusqu'au dernier jour, traquant dans les allées sombres des conventions le moindre inédit. Pour les autres, la question rituelle semble être de savoir à partir de quel disque ils ont laissé tomber. Pendant ce temps, lui continue tranquillement d'expérimenter, d'élargir encore sa palette. | |||
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L'année dernière, il l'a un peu trop élargie au goût de certains, s'offrant comme royal jouet le Brodsky Quartet — ça devait bien finir par arriver — pour un ''Juliet Letters'' mal foutu, où le quatuor à cordes et la voix s'annulaient mutuellement, comme deux pistes qui ne se rejoignent jamais. Après ça, qu'est-ce qu'il pouvait bien lui rester à faire{{nb}}? Un disque de folklore belge{{nb}}? De hard-rock{{nb}}? De grunge-musette{{nb}}? Il en serait bien capable, on sait assez sa peur de se répéter, et pour autant qu'on sache, il aurait tort de s'en priver. Levi-Strauss, à qui on demandait une définition de l'intelligence répondait après réflexion : "C'est peut-être de réussir à ne pas s'ennuyer", réponse inédite et pas si tordue que ça finalement, à laquelle Costello pourrait sûrement souscrire. Et intelligent, tout le monde sait qu'il l'est, c'est même un argument vicelard de ses détracteurs, mais c'est parfois nous qu'il avait fini par ennuyer. Syndrome de celui qui s'installe dans la durée{{nb}}? Période de purgatoire comme d'autre "vieux" — Neil Young, Dylan, Van Morrison — avant retour de crédibilité{{nb}}? Lui seul sait ce que sera son prochain disque, mais, le mois dernier, un ''Brutal Youth'' inattendu est venu nous rappeler qu'il pouvait être bien autre chose qu'une encyclopédie musicale sur pattes, et par la même occasion qu'il avait été longtemps une des meilleurs choses qui soient arrivées à la musique populaire. | |||
<!-- Les Sex Pistols et Costello --> | |||
Pour symboliser la fureur qui s'est emparée de l'Angleterre à la fin des 70's, deux noms feraient assez bien l'affaire : les Sex Pistols et Costello, deux revers d'une même médaille, deux façons de donner l'assaut aux hypnotiseurs pré-Balladuriens qui persistaient à squatter les charts, le punk et le pub-rock. Deux entreprises de démolition, l'un pour son propre compte, en vue si possible de reconstruction, les autres en vue de rien du tout, méticuleusement appliqués à faire table rase de tout, du passé comme du futur, l'ivresse de la négativité absolue (et la gueule de bois des 80's, Joy Division et Cure en tête). Mais si la musique des uns a toujours la même force — plus radical, on ne voit toujours pas — le projet (ou son absence) paraît avec le recul terriblement enserré dans son époque, tandis que ''This Year's Model'' n'a pas pris une ride. Il est plus facile d'adhérer à cette espèce de catalogue de frustrations contemporaines, ce règlement de comptes planétaires — l'image d'un animal qui se débat pour sortir d'un gigantesque piège — qu'à tous les ''"I am an antichrist"'' ou ''"We're pretty vacant"'' aux allures de slogans téléguidés par Malcolm McLaren. Le venin des Pistols était dans l'attitude, celui de Costello dans les chansons. | |||
Pourtant, les choses commencent plutôt mal en 1977, pour les blancs-becs pré-pubères que nous étions : quand les Pistols, Damned et autres Adverts posaient leurs bombes, reléguant l'idée même d'une mélodie à l'état de vieille légende d'un monde révolu, lui déposait un petit pétard à mèche ridicule, une farce, dégoulinant de refrains, de choeurs, de blues, et par-dessus tout de relents de ce rockabilly honni ("Mystery Dance"). Qu'est ce qu'on pouvait bien avoir à faire d'un type comme ça{{nb}}? Et même si ''My Aim Is True'' est devenu attachant pour d'autres raisons, il n'a pas le tranchant des deux premiers Graham Parker, son collègue de promotion pub-rock. Mais les critiques s'extasièrent devant ce trublion teigneux et vindicatif, devant son don de parolier peu commun et son goût des Dylanneries absconses et tortueuses. Il y en eut même pour penser qu'il ne ferait jamais mieux que ce coup d'essai, ce qui ne manque pas de piment au vu de l'impressionnante suite. D'une façon ou d'une autre, c'est peu de dire que personne n'était préparé à ce qui allait suivre. A d'autres l'écueil du deuxième disque. Et du troisième, du quatrième etc. | |||
<!-- L'alchimie miraculeuse --> | |||
A partir de ''This Year's Model'', avec l'alchimie miraculeuse de son nouveau groupe, les Attractions (ne pas les oublier ceux-là), ça devient l'histoire invraisemblable et agaçante d'un type qui non seulement n'avait pas brûlé ses dernières cartouches mais faisait encore et toujours mieux, n'alignant que des grands disques, brillant dans tous les registres et débarquant toujours là où on ne l'attend pas. En tordant le cou au passage à quelques idées bien ancrées et faisant figure d'exception sur pas mal de points. A commencer par la qualité et l'intensité constantes de cette pléthore qui sem-blait un véritable affront à quelques lois élémentaires, celle par exemple qui érige le doute en vertu et tient l'échec pour quelque chose comme l'honneur de l'homme. Par sa facilité apparente, il offrait l'image d'un créateur qui avait complètement oublié de passer par la case "sacrifice". Et ses (nombreux) détracteurs de le considérer vite fait avec suspicion, comme un genre de Sollers des studios, qui sait tout sur tout et donc rien sur rien de particulier, scintillant à l'extérieur, creux à l'intérieur. Comme si lui n'avait pas eu ses affres (sur "Hand in Hand", ''"you can't show me any kind of hell that I don't know already"''). | |||
<!-- Les angoisses combatives --> | |||
Mais voilà, il ne faisait pas dans la neurasthénie, il avait les angoisses combatives, c'est le moins qu'on puisse dire, et tous ses démons, toute sa culpabilité ("Ce sont la revanche et la culpabilité qui me poussent à chanter"), qui auraient poussé celui-là à biaiser, condamné celui-ci au silence, il les enferma tout à trac dans ses chansons. Le "sublime renoncement" n'a jamais été son fort, et comme quelques autres talents polymorphes, il embrassa tout le spectre de l'humain, de l'ombre à la lumière, sans faire le tri, le nez dans l'urgence sans un centimètre de recul. Un tel débordement de vitalité aurait bien excusé quelque scories : il n'y en eut quasiment pas. | |||
Des premières années cathartiques, bilieuses, comme s'il voulait se persuader de la haine de tous pour mieux haïr en retour, placées sous le signe de l'excès tous azimuts, du trop plein qui s'incarnait comme il pouvait : vindicte, verbosité flirtant souvent avec un sens de la formule trop parfait pour être vrai, rebrousse-poil (''Almost Blue'' pur Nashville, produit par Billy Sherrill, le monsieur plus des roucoulades violoneuses, la même année que ''Faith'' et ''Closer'', cherchez l'intrus), baroque enfin avec le splendide ''Imperial Bedroom''. En passant par la pop nerveuse de ''Armed Forces'', la claque rythm'n'blues de ''Get Happy!'', que, toujours blagueur, il voulait intituler ''Emotional Fascism'' (dommage qu'il ne l'ait pas fait) et le très sousestimé ''Trust'', pour arriver à ''Punch the Clock'' qui inaugure sa seconde manière, en espèce de routine de laborantin pop, substituant l'artisanat à l'urgence, loin de la mythologie rock qu'il a toujours abhorrée, avec une seule morale : faire de bonnes chansons. Et ses disques deviennent prévisibles — un comble venant de lui — et frustrants : peu de mauvaises chansons, et pourtant on reste de marbre. Comme une belle maison dont on n'aurait pas la clé. Objectivement, même ses disques les moins réussis, ''Goodbye Cruel World'', ''Spike'', ''Juliet letters'', auraient été encensés s'ils avaient été commis par un nouveau venu. Mais c'était lui, et si on avait un peu décroché, c'est aussi parce que le contraire aurait été étonnant : à une époque, disons, rapide, tenir tout le monde en haleine pendant six ans, à se demander ce qu'il allait bien pouvoir sortir de son chapeau, n'aura pas été un mince exploit. | |||
Et puis, il y a d'autres raisons. A partir de ''Punch the Clock'', il y aura désormais deux catégories d'auditeurs : ceux pour qui il était devenu le père Noël, sans question, et ceux qui l'attendaient au tournant avec l'envie de laisser tomber, soulagés, au moindre faux-pas. "Soulagés" parce que l'aimer n'était pas simple, et que le moindre des paradoxes avec lui ne fut pas d'avoir été longtemps passionnant, vital, alors même que quelque chose dans sa musique interdisait qu'on entretienne avec elle un rapport passionnel. Dans le rock, l'innocence (ou à défaut la bêtise), est un ingrédient indispensable, et lui semblait en avoir fait son deuil depuis longtemps. Ses premiers disques en manquent agressivement. C'est peut-être un élément d'explication, mais ce n'est qu'une des contractions qu'inspire le bonhomme. On veut parler de lui, prétendre en parler, ce qui suppose un minimum d'empathie ou au contraire de rejet, et on s'aperçoit que ce qu'il inspire est moins manichéen et se situe quelque part entre les deux. Un des rares à faire cet effet tant il est vrai que le sens de la nuance n'est pas toujours le fort de l'amateur de musique. On voudrait dire à quel point certains de ses disques ont compté et continuent de le faire, et on découvre en le formulant que l'enthousiasme a toujours été tempéré, surtout parce qu'il participe plus de l'admiration que de la séduction. | |||
Quant à l'homme biographique, il est protéiforme, caméléon, difficile à cerner. On est sur le point de renoncer à en parler quand on comprend que toute cette ambivalence est précisément le coeur du sujet. On reconnaît Costello à la première note, à sa voix, mais pour avoir une forte personnalité, il n'en a pas vraiment un style propre : difficile d'imaginer un groupe chez qui on pourrait déceler sans hésiter son influence, comme chez d'autres celle du Velvet, des Smiths ou qui vous voulez. Mais cette absence de style, si elle fait sa faiblesse pour des raisons évidentes, fait aussi sa force : à l'heure où Big Star, le Velvet et quelques autres deviennent des classiques, c'est-à-dire en substance des gens que tout le monde connaît mais que personne n'écoute, lui demeure un cas résolument à part, un point d'interrogation, réductible à rien, à aucune image, aucune catégorie, aucun genre musical, ce qui, ironiquement, n'est pas la moindre trace qu'il aura laissée. | |||
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Revision as of 22:52, 25 March 2021
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