Costello est capable de tout, surtout d'écrire de bonnes chansons au moment où l'on s'y attend le moins. Car cet Elvis-là, personnage secret et inaccessible, marche au coup par coup : s'il y va en moyenne de son album chaque année, c'est quasiment a chaque fois dans une maison de disques différente. Le mystère reste entier. Qui se cache derrière ces binocles excessifs, derrière cette tête de premier de la classe, dans ce corps étriqué dans de trop sombres costumes ? D'abord une sensibilité de musicien, généreuse, sensuelle, délicate. Prenez « Punch the Clock », par exemple. C'est le dernier album d'Elvis. Le précédent s'appelait « Imperial Bedroom », et nous vous en avions chanté les louanges en temps et en heure. Mais celui-ci est un fameux moment aussi. Un tantinet moins mélancolique peut-être. Tout juste ; de marches cuivrées (Costello a récupéré quelques souffleurs dissidents des Dexy's Midnight Runners) en ballades langoureuses, Elvis fait un tour d'horizon de le pop song á travers les siècles, brossant de sa plume agile un véritable arc-en-ciel de climats.
Ensuite, une sensibilité de poète indéniable à laquelle on doit notamment le fameux « Everyday I write the book » (grosso modo « Chaque jour, j'écris le livre »), sorti en simple, ainsi que le poignant « Shipbuilding », dont la version de Robert Wyatt avait fait, il y quelques mois, un tabac outre-Manche. Sous ses airs de jeune évaporé bigleux, Costello est un homme complet : un « artist ».
« Punch the Clock », enregistré avec The Attractions (le groupe attitré du maître) et quelques invités de marque (Chet Baker pousse un solo de trompette dans « Shipbuilding » et les suscités TKO Horns cuivrent l'album de bout en bout), est un disque musclé. Un disque discret, étoffé, mais glorieux. Cuivres rutilants en avant, basse patte de velours pulsant un rythme sensuel, voix de crooner râpeuse, piano mat comme dans les rêves : chacune des chansons de « Punch the Clock » est un petit bijou. Un bijou de famille, d'ailleurs. Faites le test : branchez à votre grand'maman n'emporte quel morceau, tenez, disons « The Invisible Man », au hasard, ou même « The Element within her ». Voyez sa réaction. Tout de miel. hein ? Morale de l'histoire Costello, votre Elvis à vous, abolit le conflit (musical) des générations, conflit depuis bien longtemps démodé mais hélas toujours castrateur. Et l'accouchement se fait sans douleur, car les chansons sont excellentes. Faites-vous violence !
P.S Elvis donnera deux concerts exceptionnels á Paris les 13 et 14 novembre prochains. A vos tirelires.
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